1817 – Insurrection dans l’Ouest Lyonnais
Résumé
La royauté est de retour en France, non sans mal, après la Révolution et l’Empire. Beaucoup de tension, de rancœurs, de jalousies. Notre région n’échappe pas à l’ambiance générale. Elle a en effet connu des troubles importants que nous vous contons ici.
Un royaume agité
En juillet 1815, après les Cent jours et le départ de Napoléon pour son île lointaine Louis XVIII s’installa sur le trône de France pour la deuxième fois. Cette seconde restauration fut construite sur la charte élaborée en juin 1814 lors du premier passage du frère de Louis XVI à la tête du pays.
En choisissant Talleyrand et Fouché (le Vice et le Crime écrira Chateaubriand) il composa un surprenant ministère mais il montrait sa clairvoyance car il avait à son service deux hommes d’état véritables « capables d’asseoir sur des bases solides la légitimité du nouveau régime »
Le 12 juillet 1815, une ordonnance royale révoquait les fonctionnaires nommés pendant la brève période où l’Aigle avait repris le pouvoir, et Fouché allait dresser la liste des proscrits sur laquelle « il n’a omis aucun de ses amis » disait Talleyrand lui-même !
Après la victoire des Ultras aux élections d’août 1815, le roi choisit le duc de Richelieu pour conduire le ministère ; les partisans du comte d’Artois (futur Charles X), qui réclamaient un régime absolu, allaient instaurer une politique de répression dont les excès finirent par lasser le roi qui dissout la « Chambre introuvable » en septembre 1816. La victoire des modérés allait conduire le ministère Richelieu à privilégier une libéralisation du régime. Mais les ultras n’allaient pas accepter leur défaite.
Et à Lyon ?
A Lyon on avait peu apprécié le retour des Bourbons et les excès des ultras, dont le dernier avait été l’élimination du général Mouton-Duvernet gouverneur de Lyon pendant les Cent jours, ce qui n’avait pas amélioré la situation. Après la dissolution de la « chambre introuvable » la ville avait gardé les mêmes personnalités pour gouverner son administration, c’est-à-dire des représentants du « parti » des ultras ; sauf le lieutenant de police Charrier Sainneville qui défendait le parti constitutionnel.
La situation en 1816 et 1817
Les années 1816 et 1817 furent marquées par une crise frumentaire qui provoqua des troubles dans plusieurs départements. En juin 1817, le blé était plus cher que jamais.
A Lyon et dans tout le département le mécontentement provoqué par ces difficultés économiques vint intensifier le climat d’instabilité engendré par la situation politique. Des rapports dénonçant des enrôlements, des conspirations, des rumeurs concernant un prochain retour de Napoléon, parvenaient aux autorités civiles et militaires, quotidiennement. Deux complots avaient été déjoués et leur instigateur avait été condamné, mais par la suite le lieutenant de police Sainneville se plaignit d’être submergé de dénonciations souvent sans fondements ; d’autre part il parvint à mettre à jour l’existence d’une police militaire qui faisait des visites domiciliaires et des arrestations sans son aval. Il était arrivé à penser que le général Canuel et ses hommes accentuaient l’agitation afin de pousser le gouvernement à revenir à un régime plus strict qui abandonnerait la constitution. De leur côté les militaires trouvaient que le lieutenant de police manquait de sévérité vis-à-vis des bonapartistes et des républicains et ne lui faisaient pas confiance.
Cette rivalité créait un climat d’autant plus invivable pour Sainneville que les services municipaux également se montraient défavorables à son égard. Il se plaignit au préfet, le comte de Chabrol, qui ne voulait pas se désolidariser des autres ultras même s’il était plus tolérant. Il écrivit également à Decazes le ministre de la police, qui essaya d’intervenir pour apaiser la discorde.
C’est dans ce climat conflictuel, qu’au début de juin 1817, des rapports firent état
d’une très prochaine insurrection, à Lyon et dans plusieurs communes du département. Ce soulèvement était même susceptible de s’étendre dans les départements voisins.
Le préfet prit les mesures adéquates : avertissements aux maires pour qu’ils surveillent les suspects et affichent les peines encourues en cas d’actes séditieux ; envois de détachements de troupes dans plusieurs communes et à certains endroits stratégiques, en particulier entre L’Arbresle et la Tour de Salvagny pour surveiller les routes du Bourbonnais et de la Bourgogne. A Lyon il recommanda la plus grande vigilance au lieutenant de police et l’installation d’un service d’ordre très important au général Canuel , demandant également à celui-ci l’arrestation de plusieurs suspects (il se trouva que ces arrestations ne purent pas être effectuées). Le 7 juin le comte de Fargues, maire de Lyon envoya une circulaire aux curés pour que les clochers soient fermés le lendemain.
Le 8 juin 1817 dimanche de la fête Dieu, le temps était pluvieux.
A Lyon les processions se déroulèrent dans le calme. On signala quelques incidents qui avaient nécessité plusieurs arrestations d’individus armés, ou proférant des menaces contre le maire ou singeant des gestes militaires. A la prison de « Roanne » un détenu avait été tué. Même si on avait à regretter l’agression de plusieurs militaires dont l’un était décédé, on était loin de l’insurrection annoncée !
Le soir, les gardes nationaux se retrouvèrent à 2 000 pour patrouiller pendant la nuit. Le préfet et le maire pouvaient alors dire que les mesures prises pour protéger la ville avaient dissuadé les conspirateurs ; mais il fallait se préparer à toute éventualité.
Dans les campagnes, plusieurs communes tentèrent de se soulever. Par la suite le préfet demanda aux maires de faire un rapport sur le déroulement des événements ; ces textes permirent d’avoir une lecture de l’insurrection. Il faut se souvenir qu’à cette époque les maires étaient choisis par le préfet et que quelquefois ils n’étaient pas en accord avec les habitants : on leur demandait surtout d’être de bons royalistes, et même un peu plus !
Dans le Nord-ouest lyonnais
Plusieurs communes connurent une certaine agitation : Chazay d’Azergues, Ambérieux et Anse, Charnay, Bully, Chessy, Saint-Germain-sur-L’Arbresle, Savigny et Limonest.
A Chazay : Délic, un habitant de Vaise, qui se disait le chef de cinq communes insurgées, sonna le tocsin. Aux quatre hommes armés qui répondirent à l’appel il lut une proclamation de Napoléon annonçant son retour à Lyon pour le lendemain, que le pain serait à 3 sous la livre et qu’on ne verrait plus de pauvres sur les chemins. Ils furent seulement cinq hommes armés qui quittèrent Chazay pour se diriger vers Charnay.
Le prévôt estima que l’échec des rebelles dans ce village était dû à la présence d’un escadron de gendarmerie à Anse.
A Ambérieux d’Azergues et Anse : Un groupe de quatre hommes armés arriva sur la place à 17 h ; il fut rejoint par quatre hommes armés également et ils partirent dans la direction de Morancé, sûrement avec l’intention de gagner Charnay.
D’après le rapport du lieutenant de la compagnie départementale dans la soirée les insurgés de ces deux communes devaient délivrer les prisonniers, condamnés pour faits séditieux, qui se trouvaient à la prison d’Anse ; mais cette libération ne fut même pas tentée.
A Charnay : Dès 15 h 15 on constata une grande effervescence sur la place de la commune où plusieurs manifestants appelaient « aux armes et aux cloches ». A la fin de l’office une échauffourée opposa des hommes armés au maire et au garde-champêtre. Ce dernier, blessé, parvint quand même à se dégager de la foule hostile pour aller avertir les gendarmes d’Anse et le prévôt. Pendant trois heures le tocsin sonna. Le maire et plusieurs de ses partisans furent faits prisonniers par les rebelles commandés par Garlon de Civrieux ; celui-ci vêtu en officier, une cocarde tricolore à son chapeau, armé d’un pistolet, distribuait les cartouches et les ordres. Il envoya certains des insurgés de Chazay à Châtillon d’Azergues, mais ils échouèrent dans leur entreprise ; d’autres à Alix, d’où partirent quelques hommes armés. Dans cette commune le maire se fit involontairement le complice des insurgés, mais il se racheta en envoyant deux séminaristes déguisés en paysans à Villefranche pour mettre le sous-préfet au courant des événements. Pendant ce temps le maire de Charnay avait eu la mauvaise surprise de voir que son secrétaire travaillait pour Garlon.
Après avoir essayé d’enrôler de nouvelles recrues, à 19 heures, la bande de Charnay composée de trois détachements, s’ébranla dans la direction de Lyon. Le maire fut obligé de suivre la troupe. Mais au bout d’un quart d’heure le cortège rencontra un brigadier qui leur demanda ce qu’ils voulaient ; ils répondirent qu’ils voulaient du pain et le changement du Gouvernement. La rencontre aurait pu mal se terminer, mais les rebelles, apprenant qu’une troupe de gendarmes se dirigeait sur eux, choisirent de faire demi-tour et ainsi ils parvinrent à Belmont où ils espéraient enrôler d’autres volontaires. Le désordre permit au maire de Charnay de s’échapper. Vraisemblablement après, la bande se rendit à Chessy.
A Bully : A 17 h les habitants furent alertés par la sonnerie du tocsin et la batterie du tambour. Aussitôt des hommes armés se présentèrent sur la place du village. Les chefs étaient Dyonnet un chapelier de L’Arbresle qui se disait capitaine et Lepin, un habitant de Bully. Le maire intervint essayant de les calmer et de les raisonner, mais les manifestants l’ignorè-rent et lurent avant de l’afficher une déclaration par laquelle ils annonçaient la chute des Bourbon après une nouvelle Révolution. Les insurgés arrachèrent le drapeau blanc qui flottait sur le clocher et le brûlèrent. Ils s’attaquèrent à quelques notables du village, volant de l’argent chez l’adjoint, chez une veuve nommée Pignard et chez le percepteur des contributions où ils s’emparèrent également d’un sabre. D’après le prévôt, des cocardes tricolores furent distribuées. Puis ils se dirigèrent vers Chessy.
A Chessy : 45 à 60 rebelles arrivèrent vers minuit et demi. Ils se rendirent chez le curé. Comme celui-ci était absent ils enfoncèrent la porte, la domestique n’ayant pas ouvert tout de suite. Ils demandèrent : « où est la bête noire ? ». Ils volèrent un fusil, de l’argent et de la nourriture. Avant de partir, ils brisèrent des bustes représentant le roi et le pape. La domestique témoignera avoir entendu le nom de Garlon. Ils se rendirent ensuite à la mairie où ils réclamèrent la caisse au garde-champêtre. Ce dernier reconnut plusieurs des rebelles et ajouta que certains portaient des cocardes tricolores. Les insurgés partirent vers L’Arbresle en battant du tambour et en criant « Vive Napoléon II »
A Saint-Germain-sur-L’Arbresle
L’ordre fut rétabli par Le gendarme et le garde champêtre assez vite mais le maire affolé parla de brigands parcourant les campagnes en pillant.
Savigny fut également touché par ce mouvement insurrectionnel. Le dimanche vers 18 h le maire fut averti que le tocsin sonnait à Bully. Après avoir constaté qu’aucune fumée ne s’élevait du village voisin, il prit son cheval, décidé à voir ce qui se passait. En chemin il rencontra deux hommes armés à qui il demanda si c’était pour défendre leur commune qu’ils étaient ainsi équipés ; ses interlocuteurs répondirent par l’affirmative mais sans manifester d’agressivité. Il fit demi-tour ayant l’intention d’aller informer son adjoint. C’est alors qu’il entendit des appels aux armes et qu’il vit une trentaine d’hommes conduits par Charmet, un militaire retraité. Le groupe se dirigeait vers l’église. Le maire envoya Perret, un habitant du village pour fermer l’édifice. L’homme revint la main en sang d’avoir reçu un coup de sabre.
Le maire voulut conseiller à son adjoint de rester chez lui car il savait que la population l’appréciait peu et il craignait que la violence des manifestants se dirigeât contre lui. Quand il le rejoignit les insurgés menaçaient de l’abattre ; heureusement la pluie empêcha le fonctionnement du fusil.
C’est alors que le tocsin résonna. Le premier magistrat décida d’aller parler aux rebelles ; mais ils ne voulurent pas l’entendre, refusant de le reconnaître comme maire et ils proclamèrent la prise du pouvoir par Napoléon II. Ils le menacèrent ainsi que le garde-champêtre. Bravement il s’offrit comme cible devant les hommes armés, mais ceux-ci lui demandèrent seulement de se retirer. Il alla à la mairie où il veilla avec ses amis jusqu’à minuit attendant que le calme soit revenu.
Les rebelles arrachèrent les armoiries de France de la mairie et les foulèrent aux pieds.
Entre 20 h 30 et 21 h 30, une trentaine d’hommes équipés d’environ vingt fusils, quittèrent la commune se dirigeant vers Sain-Bel. A l’aube ils parvinrent à Chessy poursuivis par les gendarmes ; on pensa qu’ils s’étaient arrêtés pour se restaurer à l’auberge.
On peut aussi supposer qu’ils devaient y retrouver les bandes de Charnay, de Saint-Germain-sur-L’Arbresle et de Bully, Chessy ayant été choisi comme point de ralliement ou de repli préalablement ; toutes les bandes qui se rendirent dans cette commune étaient en déroute.
A Limonest le tocsin sonna dans l’après-midi mais les habitants ne sortirent pas.
On peut noter que dans le Nord-Ouest du département, les rebelles étaient surtout motivés par le pillage chez des gens bien pourvus ; invoquer le retour de l’Empereur était une manière d’intimider. Il n’y eut pas de morts.
Le but était de rejoindre Lyon.
Dans le sud-ouest lyonnais des troubles plus graves se produisirent à Saint-Genis-Laval, Brignais, et Irigny, où des soulèvements furent organisés par d’anciens militaires au cri de « Vive l’Empereur ». Au moment où les trois bandes issues de ces communes allaient se regrouper à Saint–Genis, la troupe arriva, et il y eut un affrontement qui fut à l’origine de la mort d’un gendarme quelques semaines plus tard. Les insurgés tentèrent de fuir mais certains furent pris.
A Millery, quand le tocsin sonna à 23 h 30, plus de 80 hommes se retrouvèrent sur la place ; certains portaient des seaux croyant avoir à éteindre un incendie. Le premier magistrat fut destitué et on le remplaça par le maire qui occupait ses fonctions pendant les Cent jours
A Saint-Andéol-le-Château, ce fut le lundi à 7 h du matin que le tocsin commença à sonner. Le maire et l’adjoint ne purent empêcher les rebelles de se procurer des armes et à 9 h au son des tambours une soixantaine d’hommes quitta le village derrière Barret maire des Cent jours dans ce village. Ils se dirigèrent vers l’est et se dispersèrent quand ils virent les troupes arriver ; certains allèrent se cacher dans un bois à proximité.
On a pu penser que les rebelles mis en fuite à Saint-Genis-Laval étaient venus à Saint-Andéol soulever la commune pour sauver leur entreprise
En quelques heures les troupes rétablirent l’ordre dans les campagnes lyonnaises. Elles procédèrent à de nombreuses arrestations (215 entre le 8 et le 13 juin). Les chefs, pour la plupart, parvinrent à s’enfuir.
Le nombre des insurgés fut très difficile à définir ; autour de 250 d’après certains témoignages, entre 800 et 1000 d’après d’autres.
Les troupes recherchèrent les armes et les fugitifs et dans ce but elles restèrent dans les villages qui avaient connu des troubles. Il fallait aussi se protéger en cas de nouveaux soulèvements auxquels le préfet et le sous-préfet de Villefranche croyaient fermement. Le stationnement de l’armée se faisant au frais des communes entraîna une multitude de problèmes ; si bien que les soldats réintégrèrent leurs casernes un mois plus tard.
Des thèses qui s’affrontent
La thèse du préfet, du maire, et du général Canuel et la répression
Tout de suite après les événements, le préfet y vit un soulèvement dû à la cherté des subsistances ; mais bien vite il changea d’opinion et privilégia la thèse politique. Pour lui, pour le maire de Lyon, et pour le général Canuel, l’insurrection était la manifestation d’un vaste complot destiné à renverser le roi pour remettre l’Empereur ou son fils sur le trône. Les factieux ne méritaient aucune pitié et devaient être « immédiatement hors d’état de commettre encore de nouveaux crimes ». Le gouvernement, informé par le préfet approuva cette position, et la cour prévôtale fut chargée de l’instruction des procès. Le procureur du roi et la cour adoptèrent l’analyse du préfet et dès le 13 juillet la guillotine commença son sinistre travail sur la place des Terreaux. Puis elle fonctionna pendant plus de deux mois dans les campagnes de l’Ouest lyonnais. On exécuta sur les places publiques où habitaient les condamnés. Le fait le plus tragique fut la mise à mort d’un jeune apprenti de 16 ans devant la maison de sa mère à Saint-Genis-Laval.
La cour prononça la peine capitale pour 28 insurgés (11 furent guillotinés), la déporta-tion pour 34, les travaux forcés pour 6, diverses périodes d’emprisonnement pour 48 et des amendes ou des temps de sur-veillance pour 39.
La thèse du lieutenant de police et de Marmont de Raguse
Après les événements du 8 juin le climat se détériora encore davantage entre les autorités lyonnaises. Sainneville en voyage pendant le soulèvement (on lui en tint toujours rigueur) reprocha à Canuel et au maire de n’avoir pas pris assez de précautions alors qu’ils étaient informés de ce qui allait se produire.
Le maire qui l’avait remplacé pendant son absence ne lui permit pas de reprendre ses fonctions. Le lieutenant de police avertit Decazes de cet état de choses et de son isolement. Il fit sa propre analyse des événements, et elle se révéla en contradiction avec celle de Fargues et Canuel; l’insurrection n’était peut-être pas le vaste complot qui aurait pu embraser la France entière. Sainneville informa Decazes de sa conclusion.
A Paris, les ministres s’inquiétaient de la violence de la répression alors que les autorités lyonnaises ne parvenaient pas à arrêter les chefs de cette conspiration et ils craignaient que des innocents soient injustement condamnés.
Quand il fut confronté aux deux lectures des événements, le gouvernement décida d’envoyer le Maréchal Marmont de Raguse, lieutenant du roi, pour éclaircir la situation. Il arriva à Lyon le 3 septembre 1817, et quelques jours plus tard son chef d’état major, le colonel Fabvier vint le rejoindre.
Si au début Raguse adhéra aux conclusions du préfet, du maire et du général, il finit par adopter la thèse du lieutenant de police qui avait le soutien du colonel Fabvier. Pour lui le grand responsable était Canuel ; les autorités militaires n’avaient pas seulement grossi l’affaire, (un petit déploiement de troupes ayant suffi pour rétablir l’ordre rapidement), mais elles en étaient à l’origine. Les agents secrets avaient excité les paysans. Le militaire tué à Lyon le 8 juin était un agent provocateur qui avait été abattu à sa sortie de chez le général Canuel parce qu’on le soupçonnait de trahison. On avait constaté de faux témoignages. La cour prévôtale n’aurait pas dû diviser l’affaire en onze procédures alors qu’une seule suffisait ; les auteurs et les chefs d’un attroupement séditieux devaient être poursuivis et au moment du procès il se trouvait que ceux-ci étaient des contumaces encore en fuite, tandis que ceux qui avaient été condamnés avaient peu de torts. Il était étonnant que sur 250 hommes, dont un peu plus de la moitié étaient armés, plus de cent soient condamnés comme auteurs ou chefs du soulèvement. Il mit en lumière les mauvaises conditions supportées par les prisonniers et la conduite répréhensible des militaires vis-à-vis des insurgés arrêtés, en particulier des demi-soldes.
Les mesures prises après la mission du Maréchal de Raguse
Le Maréchal de Raguse, après l’examen des rapports relatant les événements du 8 juin, suspendit 7 maires de l’Ouest lyonnais, renvoya six officiers de l’état-major du général Canuel. Ces deux mesures furent ratifiées par le gouvernement.
Il demanda le rappel et la mise en jugement du général, mais celui-ci fut seulement muté et devint inspecteur général d’infanterie ; le préfet, comte de Chabrol, devint sous-secrétaire d’état à l’intérieur et Charrier de Sainneville devint maître des Requêtes. Tous les fonctionnaires nommés à Lyon, après ces mutations furent favorables à la constitution.
Le roi accorda des grâces, mais pas à tous les condamnés. Le Maréchal quitta Lyon le 3 novembre et la ville retrouva son calme.
Conséquences des mesures prises par de Raguse
Les publications de pamphlets anonymes les accusations des députés Crignon d’Auzouer et Cotton défenseurs des maires destitués poussèrent le colonel Fabvier à publier son avis sur les événements du 8 juin dans « Lyon en 1817 », le 30 janvier 1818 , afin de justifier les mesures prises par le Maréchal de Raguse.
Le préfet, le comte de Chabrol, le 15 février 1818, Fargues le maire de Lyon, le 28 février 1818, Canuel, et le prévôt du département du Rhône Desuttes publièrent leurs réponses aux accusations du colonel. Ils lui reprochaient de s’exprimer à la place du Maréchal de Raguse peut-être sans son aval et à la place du gouvernement jusque-là silencieux. Canuel, Desuttes et Fargues faisaient part de leurs soupçons contre Sainneville.
Celui-ci, pour répondre à ses accusateurs publia le 19 mai 1818, son compte rendu des événements qui s’étaient passés à Lyon du 5 septembre 1816, jusqu’au 31 octobre 1817.
Le 25 mai 1818, Fabvier publia la deuxième partie de « Lyon en 1817 », où il affirmait avoir le soutien du Maréchal de Raguse. Il défendait la thèse de Sainneville, et renouvelait ses accusations contre Canuel. Ce dernier porta plainte contre Fabvier et Sainneville pour calomnie.
C’est alors que Raguse sortit de sa réserve et prit publiquement la défense du colonel indiquant que ce dernier avait utilisé des documents officiels comme base de son analyse, et par conséquent ne pouvait pas être accusé de parti pris. Le tribunal de police correctionnelle condamna le colonel et le lieutenant de police à payer 100 francs d’amende.
Canuel fit ensuite appel devant la cour royale de Paris, et en avril 1819 le colonel et le nouveau maître des Requêtes furent à nouveau condamnés ; ils devaient payer 3 000 francs de dommages et intérêts au profit de l’inspecteur général d’infanterie et faire afficher le jugement en 100 exemplaires.
La prise de position de Raguse en faveur de son chef d’état-major allait provoquer le mécontentement du duc de Richelieu et celui du roi également. Louis XVIII fit savoir au Maréchal qu’il ne souhaitait plus le recevoir.
Il était évident que la mission du lieutenant du roi avait échoué car elle n’avait pas permis de faire triompher une des deux thèses et n’avait résolu aucun problème.
Conséquences politiques de la controverse
Conséquences au Parlement :
Le 17 novembre les maires destitués adressaient un mémoire à la chambre où ils dénonçaient les mesures prises par Raguse contre eux ; et à partir de ce jour les événements du 8 juin 1817 allaient être régulièrement évoqués à la Chambre (à majorité modérée).
Camille Jordan, député libéral du département de l’Ain, allait défendre les thèses de Fabvier, Raguse, et Sainneville, contre Crignon d’Auzouer, député du Loiret qui défendait le parti adverse.
Le gouvernement restant silencieux, la controverse s’intensifia entre les députés, chacun choisissant son camp. Jordan allait montrer ses qualités d’orateur et faire triompher la lecture « libérale » des événements à la tribune de la chambre.
Conséquences à Lyon :
Il était difficile de connaître l’avis de la population car les élites étaient les seules personnes à s’exprimer. Les élections au suffrage censitaire ne permettaient pas à toute la population de se manifester.
Les autorités lyonnaises semblaient gênées de la diffusion de certains documents (jugements de la cour prévôtale) et dans chaque parti on s’inquiétait de l’influence exercée par les brochures et les publications adverses sur la population.
Le texte de Fabvier fut le seul à circuler dans les campagnes ; les autres étant presque exclusivement lus par les bour-geois et les nobles.
Le préfet dut faire surveiller les communes dont les maires avaient été destitués, ces derniers se plaignant du comportement de leurs anciens administrés.
La condamnation de Fabvier et Sainneville, fut à l’origine d’une pétition qui groupa 6 000 signatures et d’une souscription en leur faveur.
Influence de la controverse sur les élections dans le département du Rhône
Avant les élections de 1817, Marnézia, le nouveau préfet demanda aux votants de montrer leur attachement à la monarchie et à la constitution. Le collège électoral présidé par des représentants du parti constitutionnel insistait sur le « besoin de tranquillité » du pays. Mais ils ne furent pas entendus : « pour la première fois, les élections de 1817, s’entourent de la propagande des partis » dira George Ribe, historien.
Si les ultras demandaient simplement aux électeurs de renouveler leur confiance en leur représentant, les constitutionnels dénonçaient l’opposition des ultras et des libéraux à la charte. Les libéraux furent les seuls à évoquer les troubles de juin dans leurs tracts. Les résultats furent favorables aux ultras, mais les libéraux étaient en progrès.
Aux élections de 1818, seulement quelques mois après celles de 1817 car il fallait remplacer le maire de Lyon, Fargues, qui venait de mourir, la controverse devint le centre de la campagne. Rambaud le maire de Lyon était le représentant de la monarchie.
Chabrol fut choisi par les ultras (les plus extrémistes devant abandonner la candidature de Canuel) et les libéraux allaient voter pour Jordan, même si celui-ci se présentait dans le département de l’Ain.
Jordan l’emporta au premier tour mais comme il préférait conserver le siège de l’Ain, de nouvelles élections furent organisées en mars 1819 et la victoire revint au libéral Claude Tircuy de la Barre de Corcelles.
La lutte d’influence entre libéraux et ultras : Les deux thèses sur les événements du 8 juin devinrent un terrain d’affrontements entre ces deux partis.
Sainneville et Fabvier avaient dénoncé les manœuvres partisanes de Canuel qui bénéficiait de l’appui de Chateaubriand, théoricien ultra.
On pouvait aussi parler d’influence du parti libéral sur Fabvier, Jordan, Raguse et Sainneville, même s’ils se présentaient comme désintéressés. Selon Edouard Herriot « Jordan avait saisi dès l’abord la portée politique de ces événements ». Pour préparer son discours du 22 avril 1818 dans lequel il allait attaquer les ultras, il consulta le nouveau lieutenant de police de Lyon afin de pouvoir renforcer ses arguments. Les événements du 8 juin furent pour les libéraux l’occasion d’établir une stratégie électorale dans le département du Rhône, où le fait d’être ultra devint presque délictuel.
Au point de vue gouvernemental les conséquences de la controverse furent plus difficiles à discerner. Si Decazes approuva la lecture libérale, ce ne fut pas le cas pour tous les ministres ; et la cour allait se montrer plus hostile à son égard surtout qu’il bénéficiait toujours de la bienveillance du roi. Un malaise allait s’installer entre lui et le duc de Richelieu qui lui reprochait sa trop grande confiance en Sainneville et lui en voulait d’être intervenu directement auprès du monarque pour avoir fait nommé son protégé maître des Requêtes.
Georges Ribe voyait dans cette période « Le point de départ d’une rivalité entre les deux hommes qui devait aboutir au départ de Richelieu en décembre 1818 ».
Prolongement de la controverse dans les lectures des historiens
A la fin de la session parlementaire de 1816-1817, les débats s’apaisèrent. On retrouva des allusions à l’insurrection du 8 juin dans des brochures ou bien dans les récits de certains personnages concernés par les événements.
Les historiens de Lyon : Sébastien Charléty, Edouard Herriot, Monfalcon, George Ribe, André Steyert et Achille de Vaulabelle allaient reprendre les analyses sur cette période dans leurs travaux.
Pour tous ces historiens sauf André Steyert, le 8 juin fut la conséquence des manoeuvres des ultras. Ils approuvaient les thèses de Sainneville et Fabvier. Dans les années 1970, Arthur Kleinclausz défendra la même position.
Par contre André Steyert se montra favorable à la thèse des ultras montrant la violence des insurgés contre les forces de l’ordre, contre les curés ; vantant les mesures prises par Chabrol et Canuel. Pour lui Decazes était l’âme du complot et le lieutenant de police était son agent. « Des sommes considérables furent fournies par des négociants et des banquiers », car les événements étaient vus comme un vaste complot franc-maçon, organisé par un ministre et soutenu par des commerçants des Terreaux orléanistes. Steyert pensait que la répression était allée trop loin, mais elle était due au ministre de la police. Il poursuivait : « il va sans dire que M. Decazes, le colonel Fabvier étaient comme Marmont des francs-maçons émérites »
Cette lecture resta très marginale, la thèse libérale semblant devenir de plus en plus évidente.
Les difficultés liées aux sources
Les travaux effectués sur l’insurrection de juin 1817 partaient des mêmes sources, et pourtant les conclusions pouvaient être complètement opposées. Mais ces sources offrant des analyses contradictoires des faits, les historiens pouvaient en tirer des interprétations complètement différentes.
Le problème existait pour l’étude des ouvrages écrits par les personnages liés aux événements, mais aussi pour l’étude des archives qui avaient été produites par des administrations rivales.
Cependant par la suite on a pu observer une certaine distanciation chez les historiens ce qui leur a permis de nuancer les lectures en évitant les descriptions partisanes ou excessives.
Monique Roussat
Bibliographie
Mémoire de fin d’études de Fabien Malclès