Été 1944 – La libération de L’Arbresle
Résumé
Ces quelques pages sont extraites d’un numéro spécial du périodique Arborosa des Amis du Vieil Arbresle ( n° 4 – septembre 2002), qui raconte l’odyssée de la 1ère DB du maréchal de Lattre de Tassigny, depuis le débarquement en Provence le 15 août 1944, jusqu’à la libération de Lyon.
1944
L’ÉTÉ DE L’HORREUR ET DE L’ESPOIR
Bien des années se sont écoulées depuis cette année 1944, qui fut celle de notre délivrance, et les grands événements qui en marquèrent les étapes sont encore dans les mémoires des plus anciens.
Mais pourtant, leurs péripéties furent diverses suivant les régions et peut-être aimerions-nous revivre par la pensée ces journées de fièvre et d’enthousiasme que connut L’ArbresIe au moment de la Libération, et cette ferveur ardente qui la secoua tout entière au passage de l’Armée d’Afrique.
Horreur et sauvagerie
Mais avant ces jours de renaissance, il y eut ceux de l’horreur absolue ; l’armée nazie sentant la fin proche jette ses dernières forces dans les massacres de résistants, de civils, de prisonniers, d’otages ; tout est bon pour assouvir la haine cultivée en eux depuis si longtemps et qui, bientôt, ne pourra plus s’exercer.
Une brève et incomplète énumération ne peut évidemment pas en donner une idée ; juste rappeler et tenter d’imaginer ce que fut la souffrance de ces hommes, de ces femmes, et de leurs familles, lorsqu’ils ont pu être identifiés.Le Pouzin (16 juin), 14 cadavres, St-Didier-de-Formans, (16 juin), 26 cadavres, St-Laurent-de-Mure, (17 juin), 10 cadavres, Roche (La Verpillière), (18 juin), 20 cadavres, Rillieux, (38), 7 cadavres, Porte-lès-Valence, (8 juillet), 30 cadavres, Toussieu, (12 juillet), 28 cadavres, Gênas, (12 juillet), 22 cadavres, Châtilion-d’Azer., (19 juillet), 52 cadavres, Lyon-Bellecour, (27 juillet), 5 cadavres, Bron, (du 17 au 21 août), 109 cadavres, St-Genis-Laval, (20 août), 120 cadavres, Tarare, (22 août), 10 cadavres.
Nous reviendrons plus loin sur les exécutions qui ont été pratiquées près de chez nous, à savoir, Chatillon (route de L’ArbresIe à Lozanne) et Tarare (au pied de Vindry).
L’espoir
En cette dernière quinzaine d’août 1944, la vie n’est plus normale qu’en apparence ; un frémissement profond agite le pays, chacun se sent à la veille d’événements d’une importance décisive.
Après le débarquement en Normandie qui permit aux Alliés de prendre pied en France et de rompre le front de défense allemand, voici qu’un second vient d’avoir lieu dans le Midi, ouvrant aux armées libératrices l’accès de la vallée du Rhône. L’occupant détesté pourra enfin être refoulé et chassé.
A la pensée de la délivrance proche, un grand souffle d’espoir fait battre tous les cœurs. Les Mouvements de Résistance, longtemps clandestins, commencent à se manifester au grand jour, et l’on peut présager déjà l’élan irrésistible avec lequel ils vont regrouper toutes les forces vives de la nation.
C’est par le sabotage des voies ferrées que se manifeste le plus souvent leur action, et en ce milieu du mois d’août l’armée d’occupation ne pouvait pratiquement plus utiliser notre réseau ferroviaire entièrement paralysé par les embouteillages et les destructions.
A cette époque, pour L’ArbresIe, seule restait encore ouverte la ligne de Lyon-St-Paul, et les Allemands tentaient de l’utiliser pour rejoindre la ligne de Roanne par celle de Montbrison.
Mais, revivons les faits dans leur ordre chronologique.
Samedi 12 août
Le 12 août, arrive en gare un train de munitions sous la garde d’une patrouille de 6 hommes ; il y reste jusqu’au 14, ce qui représente un grave danger pour le pays au cas où l’aviation américaine s’en apercevrait.
Les 13 et 14 août passent 2 trains militaires allemands transportant hommes et matériel. Puis un train complet de miliciens avec leurs familles venant de Roanne par Montrond, pour être dirigé sur Lyon. Ce train fut attaqué par un maquis de la Loire croyant qu’il s’agissait du train de munitions. Cette méprise coûta la vie à un résistant.
Sur cette ligne, comme sur les autres, le trafic va s’interrompre et les destructions intervenir.
Dimanche 13 août
Le premier signe concret de la défaite allemande se manifesta à Tarare, le 13 août. En ce chaud dimanche, la firme Max Müller prenant ses cliques et ses claques commence à faire ses malles. De nombreux camions vinrent charger, ce jour et le mardi 15, le plus de matériel possible sous l’œil narquois de plus d’un Tararien.
Mardi 15 août
Les forces alliées débarquent en Provence. Parmi les divisions qui composent l’Armée B commandée par le général de Lattre de Tassigny, deux nous intéressent plus particulièrement : iI s’agit de la 1ère Division Française Libre (D.F.L.) et de la 1ére Division Blindée, dont le 2ème cuirassiers.
Elles débarquent près de Cavalaire et à la Nartelle. Il leur faudra une douzaine de jours pour libérer Hyères, Toulon et Marseille avant de remonter vers le Nord. Le général de Lattre confie un groupement temporaire, composé de ces deux divisions, au général du Touzé du Vigier. Leur consigne : traverser le Rhône entre Avignon et Tarascon,
Pour ne pas se faire piéger dans la vallée du Rhône, les Américains (en particulier la Task Force du Général Butler) ont choisi de foncer à toute allure à travers les Alpes.
De leur coté, les Allemands s’empressent de remonter la vallée du Rhône pour ne pas se laisser encercler.
Jean Navard s’est engagé à 17 ans. Il fait partie de l’équipage du char Nevers du 3éme escadron du 2àme cuirassiers. Il a tenu son journal et nous raconte son débarquement.1
« Vers 19 heures, nous arrivons en vue de la plage La Nartelle, en baie de Bougnon. Les hommes se préparent dans la cale des navires et des LST.
Dans la cale il fait une chaleur épouvantable, la sueur ruisselle, on étouffe. Nous entendons le fond du bateau racler le sable, il pousse encore en vibrant fortement puis il s’immobilise. Des bruits de chaînes, la lumière se fait dans la cale, les portes s’ouvrent et nous voyons devant nous, à la toucher, la plage, la terre, la France. Ça y est enfin ! Nous sommes, arrivés. Les yeux picotent mais il ne faut pas lambiner. La passerelle métallique s’avance et s’appuie sur le bord du premier chaland. Nous sommes reliés à la côte par plusieurs de ceux-ci arrimés bout à bout.
Le drame c’est qu’au lieu d’être bien alignés, ils sont en quinconce, aussi pressentons-nous de grosses difficultés pour arriver jusqu’à terre. Les équipages sortent d’abord pour gagner la plage, puis
les chars s’avancent un à un, lentement, sur ces planchers métalliques particulièrement glissants.(..) Le premier de nos chars passe sur le premier chaland qui s’enfonce un peu et penche dangereusement mais il arrive sans encombre sur le deuxième. Le second char se présente à son tour et ça danse un peu plus.
Au quatrième, le chaland penche tellement que les chenilles d’acier ripent. Le Nancy roule sur le troisième et n’est sauvé de la chute dans l’eau que grâce à un anneau d’amarrage qui s’est coincé entre deux patins de la chenille. Deux Ricains qui regardaient ce gymkhana en rigolant ont sauvé leur peau par un magnifique plongeon renversé et nous de rire à notre tour en les voyant barboter! »
Vendredi 18 août
A l’ArbresIe, le soir du vendredi 18 août, des éléments spécialisés prennent possession de la gare, et le travail commence par le sabotage du téléphone. Puis de fortes détonations qui ébranlent tout le pays, annoncent la destruction du château d’eau et des aiguillages.
Ce sont ensuite deux machines qui vont aller dérailler sur le pont tournant en bloquant une troisième, tandis qu’une quatrième ira obstruer la ligne de Lozanne, sous le tunnel du Cornu.
Enfin, une cinquième machine est lancée à toute vitesse sur la ligne de Ste-Foy-l’Argentière. Elle passera en gare de Sain-Bel quelques minutes avant que les rails ne sautent et s’arrêtera ensuite à bout de souffle entre les deux carrières, vers le viaduc, après la station de Courzieu.
Vraiment la nuit a été bien employée, et les hommes du maquis peuvent repartir satisfaits. Détail intéressant : beaucoup d’entre eux ont été parachutés aux Sauvages, près de Tarare, et certains même, portent l’insigne accordé seulement après huit parachutages. En tout cas, désormais, la gare de l’ArbresIe sera très calme. Pendant quelques jours, elle assurera encore un service réduit avec Lyon-St-Paul, mais c’est sur les routes que les événements vont désormais se précipiter.
Parmi les membres de ce commando, un Arbreslois, le colonel Pierre Alevêque2, qui restera dans l’armée après la guerre.
Depuis quelque temps déjà, l’activité des Forces de Résistance est devenue intense dans la région. Les parachutages se sont multipliés spécialement aux alentours de Villechenève, St-Laurent-de-Chamousset, St-Julien-sur-Bibost, Albigny, Montrottier, Lamure, Chamelet etc. pendant que les différents maquis voyaient croître rapidement leurs effectifs. Et quand l’ordre a été donné de passer à l’action, tout était prêt pour une participation utile et immédiate au grand mouvement de Libération.
Dimanche 20 août
Une longue colonne motorisée allemande venant de Roanne et emmenant beaucoup d’officiers et de femmes de la Gestapo, s’arrête sur la route nationale 7, dans la descente de Bully, à hauteur de la ferme Dumas, et stationne longuement. Les voitures s’échelonnent sur une longueur d’un kilomètre environ. Leurs occupants pénètrent dans les maisons proches, les pillent ou se font préparer et servir des repas.
Arrive une voiture F.F.I.3 qui ne s’arrête pas à l’injonction des sentinelles, mais passe en trombe devant la colonne, lançant une grenade sur les véhicules arrêtés dont les occupants ripostent à la mitraillette.
Un résistant tararien du groupe des «Bidulards», André Prez, est tué d’une balle en plein front. Son corps a d’abord été déposé dans un tombereau recouvert de paille chez Chatard à Sarcey, puis fut transporté chez ses parents Cité-Jardin.
Depuis le 21 avril, dans la région lyonnaise et ailleurs, la Gestapo avait entrepris de vider les prisons et de massacrer les détenus dans la campagne environnante. Le plus horrible eut lieu à Saint-Genis-Laval, ce 20 août. 120 prisonniers arrachés des geôles de Montluc, mains liés, emmenés en cars et en voitures près du Fort de Côte Lorette, enfermés dans la maison du gardien.
Tortures, exécutions à la mitraillette. Les corps arrosés d’essence et le feu mis à la maison après y avoir disposé des explosifs. Les sauveteurs passeront des heures à recueillir des débris humains. Seuls, 82 corps seront identifiés.
Mais, déjà, plus près de nous, il y avait eu le 19 juillet, le massacre de Châtillon-d’Azergues. Cinquante deux otages, pris à Montluc, ont été fusillés par les Allemands. La tuerie de Châtillon a laissé dans notre région un profond souvenir d’horreur et de révolte cinquante-deux hommes de dix-sept à quarante-cinq ans furent abattus par les Allemands, devant un petit bois d’acacias, en face du château Lassalle, en bordure de la route n° 496 et abandonnés sur place… Un monument a été édifié sur les lieux mêmes du carnage, pour honorer la mémoire des victimes.
Saint-Etienne vient d’être libérée. En toute hâte, les troupes allemandes ont quitté la ville, et, dans l’après-midi du 20 août, des camions bondés de F.F.I. y pénètrent sous les acclamations populaires. Les bâtiments publics sont occupés sans coup férir, les miliciens pourchassés. La police passe au service du C.D.L.4 Devant les sièges de la légion et de la milice, le matériel de propagande brûle en feux de joie. Quelques lambeaux des portraits du maréchal traînent dans le ruisseau.
Lundi 21 août
Vers 18 heures, un drame brutal éclate à Tarare. Une explosion sourde, immédiatement suivie de rafales de fusils mitrailleurs et de coups de fusils isolés. Une rencontre s’était produite à l’angle des rues Anna-Bibert, République et Denave. Les Allemands, qui voyaient des terroristes partout, en profitaient pour extérioriser leur rage en descendant les vitrines des commerçants voisins, tirant dans les fenêtres des étages, organisant une sorte de battue dont les Tarariens constituaient le gibier.
Enfin, ils se retirèrent en direction du faubourg où les fenêtres leur servirent de cibles. Une victime paya de son sang la folie teutonne. Louise Dupuis, qui se trouvait chez elle, nettement en retrait de la route, fut épaulée, tirée et abattue sans même pouvoir dire un mot aux siens.
Mardi 22 août
La tragédie du Pied de Vindry : En ce mardi, un nouvel acte du drame atroce et meurtrier allait se jouer. Dans le début de l’après-midi, on apprend qu’une colonne de soldats arrivait du Pin-Bouchain.
Un officier, incorporé malgré lui dans l’armée allemande, vint se constituer prisonnier à la gendarmerie. Questionné, il put déclarer que la majeure partie de cette colonne était constituée par des hommes de troupes originaires de Mongolie. Aussi, un manifeste fut-il écrit en russe et placardé bien en vue, invitant les Russes à se révolter contre les Allemands. On était plus ou moins rassurés et chacun s’empressa de regagner ses pénates tandis que les magasins se fermaient derrière leurs volets de bois.
A 18 h 30, une avant-garde à bicyclette apparut, suivie de près par le gros de la troupe venant sans ordre et comptant autant d’ivrognes que de traînards. Toutefois, les cadres demeuraient et on s’aperçut rapidement qu’en fait de Mongols, il s’agissait de « fridolins »5 bon teint. Un officier apercevant l’affiche en langue russe apposée au Café du Commerce fut soudain pris de fureur et jeta une grenade, faisant voler en éclats les vitres et les glaces. Fort heureusement, c’était jour de fermeture. La folie gagna alors la colonne et les vitrines de la rue de la République démunies de volets furent rapidement détruites.
Des soldats profitèrent de l’émotion générale pour voler des bicyclettes, faisant descendre les propriétaires sous la menace de leurs fusils, des attelages, pour piller des tiroir-caisse comme au Café Provençal.
La horde poursuivant son chemin arriva vers les lieux de la Grange Cléat et du Pied de Vindry où un petit groupe de jeunes braves de la Résistance, embusqués en face de la route dans les bois de Chalosset vers la voie ferrée, attaqua cette colonne de près de mille hommes. Surpris au début, les Allemands s’organisèrent vite.
Les maquisards étaient adroits et bons tireurs mais les Allemands ayant la supériorité du nombre parvinrent à faire taire les quatre F.M. des résistants qui se replièrent. Parmi eux, Paul Souzy, grièvement blessé. Il était impossible de l’évacuer car les Allemands contre-attaquaient, venant en moto par le chemin de Chalosset où se trouvait Paul Souzy agonisant. Ils l’achevèrent sans sommation.
Hélas, le drame n’était pas terminé. Prenant en otages de paisibles civils qui revenaient de leur jardin à cet endroit d’ordinaire plaisant et tranquille, ils les fusillèrent sans jugement dans le petit fossé et le long du mur (où se trouve aujourd’hui le monument)qui faisait face à l’abri des cars de la Régie.
Dans une maison proche, les soldats se conduisirent en brutes, obligeant l’occupante à soigner leurs blessés tandis, qu’ils tiraillaient des fenêtres, exigeant du Champagne et à défaut se rabattant goulûment sur du marc, forçant l’infortunée maîtresse des lieux à goûter auparavant les mets avant de partir, emportant couvertures et édredons. Ils en profitèrent aussi pour piller au Pied de Vindry. Les corps ne furent trouvés qu’à l’aube du mercredi et une nouvelle victime, fut découverte tuée devant sa maison.
Les funérailles de toutes ces innocentes victimes eurent lieu le jeudi 24 en l’église Saint-André où les corps avaient été déposés dans la crypte. Toute la population tararienne tint à accompagner ses martyrs jusqu’au champ du repos et ce fut un instant d’émotion lorsque les orgues jouèrent la Marseillaise. Ces obsèques furent le jour qui marqua la première manifestation au grand jour des Forces de la Résistance. Une trentaine présentait les honneurs et toutes les sections défilèrent.
On apprenait aussi qu’un jeune Tararien, Gaston Simon, blessé à deux reprises, laissé pour mort, n’avait eu la vie sauve que grâce à son sang froid.
Mercredi 23 août
Retraite de l’armée allemande : Pendant la matinée, les Allemands passent à pied, à bicyclettes ou sur des charrettes. Une troupe paraissant harassée et affamée, s’empare des chevaux et des bicyclette, entre dans les fermes et les maisons sur la route pour se ravitailler et assiège les boulangeries à son arrivée à l’Arbresle. Cette colonne, forte de 2000 hommes environ, vient de Roanne et se dirige sur Lyon par plusieurs routes, dont la N7.
Après avoir traversé l’Arbresle sans incident, elle fait halte près de l’usine Fichet (sortie est de l’Arbresle) pour manger, puis continue son chemin.
Dans la soirée, vers 16 h, trois camions allemands de ravitaillement transportant une douzaine d’hommes et se dirigeant vers Pontcharra, sont attaqués par des partisans à la montée de Bully.
Des coups de feu sont échangés, un camion est incendié, un autre immobilisé, pendant que le troisième parvient à s’échapper et à reprendre la direction de l’Arbresle.
L’échauffourée a coûté la vie à quatre de leurs occupants : un sous-officier allemand, un Tchèque, un Italien, et le quatrième de nationalité inconnue.
Les partisans se retirent emmenant quatre prisonniers dans leurs voitures. Ils arrivent à St-Romain-de-Popey, vers 17 h. où ils sont ovationnés par la population.
Un soldat allemand de nationalité italienne, échappé à la bagarre, arrive à l’Arbresle et cherche à obtenir des vêtements civils. Emmené prisonnier par une voiture du maquis, il s’engagera plus tard dans les forces F.F.I.
Peu à peu les maquis s’intègrent à l’armée régulière Pour ceux du Rhône, c’est le Colonel Mary (Raymond Basset) qui assure la coordination (voir annexe II).
De son PC à St-Symphorien-sur Coise, Mary commande à 6000 hommes campés aux alentours et aussi dans la vallée d’Azergues, la région de Tarare, Amplepuis, Thizy, Pont-Trambouze et Cours.
A partir de ce 23 août il les dispose dans les secteurs de Lentilly et de Dardilly avec ordre d’opérer contre les Allemands qui refluent par les nationales 6 et 7. Yzeron deviendra le PC régional FFI.
Les maquisards ont coupé toutes les voies ferrées, obstrué pour plus ou moins longtemps les routes par de gros arbres abattus durant la nuit, détruit les lignes téléphoniques.
Les convois ennemis, fortement protégés, circulent rarement sans pertes. « Mais malheur, dit le colonel, aux petites colonnes, et malheur aux traînards. C’était notre pain quotidien.»
Les F.F.I. mettront hors de combat des centaines d’ennemis.
Jeudi 24 août
Dès le matin animation inhabituelle dans l’Arbresle. Le Comité de Libération sort de la clandestinité ; ses membres arborent le brassard blanc à croix de Lorraine.
Les casernes de gendarmerie sont occupées par les F.F.I.
Leurs autos, portant l’étoile blanche et, ornées de drapeaux tricolores, circulent à toute vitesse à travers la ville. On entend au loin la voix du canon et on vit dans l’attente angoissée des événements. Les bruits les plus fantaisistes circulent et seule la T.S.F. (radio) renseigne quelque peu un public privé de nouvelles.
Dans la matinée, un officier et un soldat, passent en auto dans la rue Centrale et sont aussitôt entourés par une foule sympathique.
Jeudi 24 août – soirée
En fin de soirée, un camion transportant des parachutés, est ardemment acclamé place de la Liberté. Ce sont des soldats de l’armée Koenig (F.F.L)6 venant d’Angleterre, parachutés au camp du « Saphir », dans la région de St-Symphorien-sur-Coise (leur poste de commandement est à St-Laurent-de-Chamousset), ayant pour mission d’attaquer les convois allemands en retraite sur les routes, spécialement vers Civrieux et Limonest.
On les verra pendant trois jours traverser l’Arbresle. Puis au cours d’un combat, un de leurs officiers sera gravement blessé du côté de la Tour-de-Salvagny, et ils finiront par perdre leur voiture à Civrieux.
A l’Arbresle, la municipalité en fonction cède la place à une nouvelle, issue de la Résistance. De pareils changements ont également lieu dans diverses communes du canton. Pose d’affiches recommandant le calme et la discipline. Réunion des commerçants pour étudier une baisse des prix sur les fruits et les légumes.
La Résistance assume aussi la police des routes. Grève des chemins de fer. Sur la ligne de St-Paul, la seule qui depuis quelques jours fonctionnait encore au ralenti, un train est parti ce matin a 6 h. pour Lyon, pendant qu’un autre en arrivait à 7 h 40. Et c’est tout : arrêt complet de la circulation ; les voyageurs rentreront comme ils le pourront, par leurs propres moyens.
Le temps est splendide ; une joyeuse animation règne dans la ville, et des cocardes tricolores fleurissent sur tous les corsages, pendant que les enfants agitent de petits drapeaux.
La libération de Montluc : Le fort de Montluc, rue du Dauphiné, à Lyon, était la prison des résistants d’où partirent les convois pour les exécutions sommaires. Il était capital d’en prendre le contrôle, surtout après le massacre de Saint-Genis-Laval.
Yves Farge, commissaire de la République, avait fait savoir au commandant allemand, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, du consul de Suède, du préfet régional de Vichy, que sur les 752 militaires allemands prisonniers aux mains des F.F.I. en Haute-Savoie, 80 allaient être passés par les armes, en représailles, et que les autres, considérés comme otages, répondraient sur leur vie de toute nouvelle atrocité commise par l’occupant. C’était un langage compréhensible par la Wehrmacht et par la Gestapo.
Dans le même temps, un corps franc, aux ordres du commandant Koenig, recevait mission d’intercepter toute tentative de l’ennemi pour évacuer les détenus vers la mort ou la déportation.
Dès le 21 août, il avait mit les hommes de son groupe en place autour de Montluc, de façon à en bloquer les voies d’accès et de sortie.
Et puis, force fut bien d’attendre, le délai mis à profit par les religieux et religieuses proches, pour préparer des locaux d’accueil, avec les maigres moyens dont on pouvait disposer en ces jours difficiles.
Le 22 août, rien. Le 23, agitation fébrile des Allemands, mais à l’intérieur de la prison : ordres, contre-ordres, simulacres de départ de prisonniers pour des exécutions sommaires, puis retour en cellules. Cinq détenus furent pourtant fusillés, ce jour-là encore.
Le 24 août au matin, nouvelle fulgurante : les Américains, après une cavalcade par la route Napoléon, sont à Bourgoin ! Cette fois, le dénouement était en vue.
A 18 heures, le commandant Koenig envoya deux sous-officiers, des Alsaciens pariant allemand, parlementer avec le commandant de Montluc, le capitaine Büsche.
On passa un accord : les Allemands ne fusilleraient plus personne, et la Résistance les laisserait quitter Montluc sans les attaquer. On convint en outre que les clefs de la prison seraient remises à l’un des détenus le plus élevé en grade, en l’occurrence le général Touchon.
Le départ des Allemands était prévu pour 19 h 30. A 20 h 30, rien. Perdant patience, à 20 h 50, Koenig et le lieutenant Nunnigen allèrent, revêtus d’uniformes d’officiers allemands, à la résidence personnelle du capitaine Büsche, 152, cours Gambetta.
Comme on pouvait le prévoir, celui-ci était à la prison, mais une ligne téléphonique directe permettait de le joindre. Parlant parfaitement l’allemand, Koenig se fit passer pour un officier supérieur allemand, le colonel Kramer, et ordonna à Büsche de quitter immédiatement les lieux. Les camions étaient prêts, et le départ se fit de suite, vers 21 h 30.
Libres ! Aussitôt les portes des cellules s’ouvrirent et une joie folle, un peu pagailleuse s’empara de la prison. Vers 10 heures, la sortie se fit par groupes, en ordre et sans traîner.
Jeudi 24 août – 22 heures
Au milieu des acclamations et des battements de mains, passent, dans la soirée sur des voitures et des camions, des jeunes gens qui, en chantant, se rendent dans les camps du maquis de la région.
Nouveau convois de 70 hommes, à 22 heures, dont font partie les gardes-voies et communications. Il passe aux accents de la Marseillaise. D’autres convois suivront plus tard dans la nuit.
Vendredi 25 août
Des batteries à la hauteur de Dardilly, à la hauteur de Lentilly et au carrefour de la Chicotière protègent l’écoulement de l’armée allemande, dont la N 6 devient l’unique route de repli.
Les hommes de Mary combattent avec l’armement toujours insuffisant qui seul leur a été parachuté fusils mitrailleurs, bazookas, plats, grenades…et les munitions faisaient cruellement défaut.
A chaque attaque, l’ennemi réagit et exerce des représailles aux alentours du champ de bataille.
Journée calme, rues assez animées. On entend encore le sourd grondement du canon. Quantité de volontaires continuent de rejoindre les forces de la Résistance.
Les mines et industries diverses de la région ne travaillent plus.
A l’Arbresle. après deux mois et demi d’absence, les gendarmes sont revenus. On revoit avec plaisir leurs uniformes familiers.
A partir de 22 heures, quinze camions transportant 800 hommes vont traverser l’Arbresle pour rejoindre Vaugneray, point de ralliement.
Un peu au-dessus de Belmont, bataille d’avions. Quatre appareils américains poursuivent un allemand, qui sera plus tard abattu sur Anse.
Samedi 26 août
Après une nuit agitée par le passage de tous les camions, la ville se réveille fiévreuse. Les esprits sont tendus, angoissés. Depuis cinq jours les journaux ne paraissent plus ; grande pénurie aussi de nouvelles, dont les moindres sont commentées avec passion.
D’après certains bruits impossibles â contrôler, il semble que Paris soit délivré, alors que Lyon serait encore occupé par les nombreuses troupes allemandes remontant du Midi. L’ennemi en aurait pourtant déjà retiré ses services administratifs.
Dans l’Arbresle, intense circulation d’autos de la Résistance qui continue d’assurer le contrôle de la route.
Chaleur étouffante tous ces jours-ci, aujourd’hui, temps très menaçant.
On entend les grondements sourds : est-ce le tonnerre ou le canon ? Sans doute les deux. Dans la soirée un gros orage s’abat sur la région et on entend l’éclatement de nombreuses fusées paragrêle précédées de peu d’une pluie diluvienne.
Dimanche 27 août
La chaleur et le soleil sont revenus. Rien de changé dans la situation. Vers 11 heures alerte sur la place Président Carnot au sujet d’une auto qui serait signalée comme arrivant de Tarare. Les volets des magasins se ferment : on fait retirer la foule… mais rien n’arrive et le calme revient peu à peu. Le transport des forces de la Résistance continue encore par intermittence.
Lundi 28 août
A partir du 28, l’aviation alliée survole les lieux et attaque, allant bombarder des rassemblements allemands, notamment â la Chicotiére tirant aussi hélas sur les voitures amies qui portent pourtant le signe convenu : une étoile blanche. Sans doute les Américains ne pensaient pas que les F.F.I. approchent l’ennemi de si près.
Nouvelles rares. Depuis l’arrêt des chemins de fer, le transport du courrier, sans jamais cesser complètement, s’opère par des moyens de fortune, camions, voitures, etc. et cette précarité durera environ 12 jours.
Mardi 29 août
En fin de soirée après une journée sans histoire, des avions passent très bas sur la ville. Bombardement de la voie ferrée à proximité de la gare de Lentilly. Pas de dégât. Les avions alliés attaquent des groupes ennemis sur les routes. On envisagerait la création d’un aérodrome provisoire au-dessus de l’Arbresle. Installation à la Pérollière d’un hôpital qui n’aura qu’une existence éphémère.
Le 2ème Cuirassiers a quitté Marseille et fonce sur les routes de Provence. Il fait un temps splendide. « 2ème Cuirassiers, en avant jusqu’à l’anéantissement de l’ennemi ! » Telle est la consigne que le Régiment a reçue de son Colonel par la voie de l’Ordre N° 34 saluant la victoire de Marseille.
Le voilà en route vers de nouveaux combats, vers de nouvelles victoires, ayant eu à peine le temps de respirer l’air de la grande cité phocéenne libérée. Le 29 août au soir, le Régiment stationne à la Barben, petit village proche de Salon.
Mercredi 30 août
Le général du Vigier précise à son groupement son axe de progression : ils passeront par Arles, Langogne, le Puy, Saint-Etienne, l’Arbresle.
Leur rôle est de harceler les Allemands qui remontent par la N86, sur la rive droite du Rhône.
A l’Arbresle, les F.T.P.F.7 installent leurs services dans les bâtiments de l’ancienne usine Fichet, précédemment occupée par les G.M.R.8 En gare, le téléphone a été sommairement mais rapidement rétabli entre Roanne et Lozanne. Et, pendant dix jours, à partir de l’arrêt du trafic, la Résistance de Roanne téléphonera toutes les nuits pour avoir des renseignements sur l’Arbresle, qui la mettra ensuite en communication avec Lozanne.
Les maquis du Rhône font mouvement vers les Coteaux du Lyonnais pour participer à la Libération. Venant de l’Ardèche, de la Haute-Azergues ou de la Loire, ils vont se mettre en position près de Givors, Brignais et Oullins.
Le 2ème Cuirassiers fait route sur Fontvieille. Ses chars commencent, le même jour, le passage du Rhône par bacs à Vallabrègue, au nord de Tarascon. Les véhicules à roues et les Half-Tracks traversent le fleuve le lendemain, le 1er Septembre, sur un pont de bateaux en Avignon.
Le Régiment se regroupe, à la nuit, dans la région de Bagnols-sur-Cèze.
L’étendue de la déroute infligée aux années ennemies en fuite, se lit à chaque pas de cette première étape sur la rive droite du Rhône ; les routes sont encombrées de véhicules boches, détruits par les avions alliés ; les ferrailles de leurs carcasses carbonisées et tordues sont figées dans un ultime geste qui semble implorer la pitié d’un ciel vengeur.
Jeudi 31 août
A la pointe du jour, des voitures allemandes, sans doute égarées, sont signalées au poste de l’usine Fichet. Un groupe de six ou sept F.T.P. se met immédiatement à leur recherche. Les hommes sont armés de mousquetons et de revolvers, mais n’ont qu’une seule mitrailleuse. Ils ne trouvent pas les voitures signalées mais, au virage de la descente de Fleurieux, ils rencontrent une auto venant de la direction de Lyon, où se trouvent deux Allemands.
Les hommes du groupe tirent sur le pare-brise et le bris des vitres, blessant le conducteur, fait faire une embardée à la machine, qui s’en va dans le fossé. L’un des occupants est arrêté sur le coup. Le deuxième se sauve jusque sur la colline du Cornu où il est rejoint et maîtrisé peu après.
A noter, que les deux prisonniers, tout en arborant le brassard de la Croix Rouge, portaient aussi des armes, fusil et revolver Mauser, au mépris des règlements de la convention de Genève.
Après une courte nuit de repos, le 2ème Cuirassiers reprend la poursuite. C’est de nouveau la route jonchée d’épaves. Les véhicules carbonisés deviennent de plus en plus rares, cédant la place aux cadavres de chevaux.
Quel carnage ! Pauvres chevaux de trait de nos campagnes, réquisitionnés impitoyablement par l’ennemi en fuite ! Ils sont tombés en rangs serrés. L’air devient parfois irrespirable… Plus de cent cinquante chevaux morts sur un parcours de moins de dix kilomètres. Voici Viviers, puis le Pouzin… Il ne reste plus une maison debout dans ce village complètement rasé par l’aviation.
Le régiment fait étape à la Voulte. Toute la région a été atrocement martyrisée par les barbares. Ils y ont perpétré un nombre incalculable de crimes, pillant, massacrant des otages, violant des femmes en présence de leurs maris, des fillettes sous les yeux de leurs parents.
Le Cuirassier frémit d’impatience dans sa soif de vengeance au récit des témoignages de la population désormais libérée.
Vendredi 1er septembre
Un groupe de reconnaissance de la 1ère D.F.L. arrive à l’Arbresle sous les ordres du lieutenant Pasquini. Sa tâche est d’organiser le campement du gros de la troupe, à l’usine Roche, route de Bordeaux
Une sérieuse attaque d’un convoi allemand par les F.F.I. et F.T.P. aidés d’un groupe de parachutistes, se déroule aux 7 chemins, au sud de Brignais.
La 1ère D.F.L. passe à Saint-Etienne. déjà libérée.
Dans la soirée, la permanence de l’usine Fichet apprend que des Allemands réquisitionnent les chevaux à Chazay. Une patrouille s’y rend de suite, mais à son arrivée les Allemands ont quitté le pays. Elle se met à leur recherche et, peu après, sur la place de Marcilly, trouve deux Allemands arrivant â bicyclette dont l’un va parvenir à s’enfuir, tandis que l’autre est fait prisonnier et ramené à l’Arbresle. Il s’agit d’un adjudant-chef d’état-major des troupes S.S.
Sur le soir, canonnade entendue dans la direction de Lyon où, dit-on, des gares seraient en feu. Mais que se passe t-il au juste ? On ne peut avoir quelques vagues renseignements que par des voyageurs qui, à pied ou à bicyclette, reviennent de la ville.
A Lyon, les derniers régiments de l’armée allemande remontant du Midi arrivent en débandade, lambeaux d’une armée battue.
Depuis la veille, les occupants en partance ont commencé leurs destructions systématiques. Ainsi ont été incendiés les gares et les ateliers de Perrache et des Brotteaux, mais aussi les magasins généraux et l’arsenal de la Mouche.
Samedi 2 septembre
Calme dans la matinée. Autour de midi arrive un ultimatum apporté en bicyclette par un civil requis par les Allemands, déclarant que si le prisonnier fait la veille n’est pas rendu avant 15 heures, les villages de Marcilly et de Chazay seront détruits, après la prise de sept otages dans chacun d’eux.
Après consultation de l’état-major F.F.I., installé à Vaugneray, la réponse donnée est que s’il est brûlé une seule maison ou touché à un seul otage, les 153 Allemands actuellement prisonniers seront fusillés.
Refus péremptoire, qui va être appuyé de façon énergique par l’arrivée inopinée des troupes françaises car, au cadran de l’histoire, vont sonner pour l’Arbresle les heures inoubliables ! Dès l’arrivée des premiers contingents, la Résistance locale s’empresse de prévenir les chefs de l’ultimatum reçu.
A 13 h 30 débouche de la route de Bordeaux une motocyclette suivie de deux petites autos découvertes, des « jeeps » (on apprendra leur nom par la suite) chargées de fleurs et transportant quelques soldats habillés en kaki. Elles s’arrêtent à l’angle de la place Carnot.
Immédiatement un attroupement se forme autour d’elles. A -t-on affaire à des Américains, à des F.F.I. ? On n’est pas documenté sur les nouvelles tenues militaires. Et voici qu’arrivent d’autres voitures, fleuries elles aussi, mais armées de mitrailleuses et chargées de troupes. Elles arborent le drapeau tricolore ! Seraient-elles donc françaises ?
Il s’agit en réalité d’une partie de 2ème Régiment de Spahis Algériens de Reconnaissance sous le commandement du colonel Lecoq. Ce régiment appartient à la 1ère D.B. mais a été mis à la disposition de la 1ère D.F.L. Deux pelotons passent à l’Arbresle et le troisième ira sur Tarare.
Ce régiment de reconnaissance n’est pas armé lourdement : essentiellement des automitrailleuses, quelques chars légers, half-track, mortiers et jeeps.
Peu de temps après avoir traversé l’Arbresle, il aurait l’occasion de prendre contact avec l’ennemi. Sa mission est de couper, au plus près de l’agglomération, les routes au nord de Lyon. Les 1er et 2ème pelotons, sous les commandement des lieutenants Sauvebeuf, et de Buzonnières, foncent sur les carrefours de la Nationale 6 (Maison Carrée et la Chicotière) et sur Tassin-la-Demi-Lune, y bousculent des bouchons antichars et incendient quelques véhicules de la Wehrmacht.
Accrochage à la Chicotière : Vers 19 heures, en position à la Chicotière, les hommes de la 1ère D.F.L. attendent la Wehrmacht. (1)
Le dernier convoi allemand venant de Lyon se présente vers 22 heures. L’artillerie française pulvérise les premières voitures, mais il y en a une quarantaine qui suivent et le combat se poursuit jusqu’à 3 heures du matin.
Mais ses automitrailleuses dispersées ne peuvent prétendre à interdire le passage dès que se présentent des éléments lourds.
Une forte colonne allemande réussit à monter vers Villefranche.
Les opposants ne sont pas assez nombreux pour empêcher les Allemands de passer qui, en reprenant la route, font flamber l’hôtel du Cheval-Blanc et la ferme Crétollier. Depuis huit jours, les habitants désertaient le secteur
Finalement un assez grand nombre de prisonniers restent aux mains des troupes françaises. La Chicotière gardera longtemps les traces de ces heures dramatiques, carcasses tordues qui rouillent, façades béantes des maisons incendiées, vastes entonnoirs d’obus et de bombes que les pluies transforment en mares.
Le 3ème peloton sous les ordres de l’adjudant-chef Cormu, est chargé de tenir Tarare.
L’absence du régiment de chars, en panne sèche, empêche de recueillir le bénéfice total de la longue poursuite. Le 2ème cuirassiers ne passera à l’Arbresle que le lendemain. Ce soir, il fait étape à St-Laurent-Pied-de-Vache, près de Saint-Galmier
Après la tragédie de 1940 et toutes les mornes tristesses de ces quatre dernières années, revoir enfin une armée française, quel rêve fou ! C’est tellement beau que cela semble presque incroyable ! La joie est indescriptible. C’est de l’enthousiasme et du délire.
Chaque nouvelle voiture est saluée d’acclamations et de vivats sans fin. On se jette à leur rencontre pour essayer de serrer au passage la main des soldats qui répondent de leur mieux à ces ovations populaires.
Le tonnerre qui gronde, la pluie torrentielle qui tombe toute la soirée n’arrivent pas à disperser la foule qui s’agglomère autour des autos dès que l’une d’elles fait mine de s’arrêter.
On apprendra bientôt que dans l’une des premières voitures se trouve le Capitaine Giraud, commandant le premier élément du 9ème Chasseur d’Afrique et fils du Général Giraud. (Nota : le général Giraud était chef de la VIIème armée au début de la guerre. Fait prisonnier, il s’évade et rejoint l’Afrique du Nord Les alliés Américains le préfèrent à de Gaulle, trop sourcilleux de son indépendance, mais les deux hommes finiront par s’entendre.)
Il deviendra, peu après, commandant d’armes, à Villefranche, après avoir coopéré brillamment à la délivrance de cette ville.
Lyon : les ponts sautent : Le Commandement allemand pris entre une résistance active à l’est et la menace de l’arrivée de la 1ère D.F.L. à l’ouest décide d’évacuer la ville dans la nuit du 2 au 3 septembre. Le repli s’effectuera à l’abri de la Saône, fossé antichar naturel.
En ce matin du 2 septembre, les ponts sur le Rhône sautent un à un. Les Allemands ont débuté par le pont Gallieni avant de passer au pont de l’Université, au pont de la Guillotière, puis ainsi de suite en remontant le cours du fleuve. Le pont de la Boucle s’effondrera le dernier, après le passage des convois attardés.
Pour venir à bout des géants de pierre et de métal jetés sur le fleuve, plusieurs charges sont nécessaires. Non seulement les ponts s’effondrent mais les quartiers situés aux alentours sont également sinistrés. Les conduites d’eau et de gaz se rompent, les fenêtres sont arrachées, les cloisons soufflées, des blocs de pierre ou de fonte sont projetés à des dizaines de mètres, les rues sont jonchées de verre brisé.
Dans l’après-midi, les artificiers allemands s’attaquent aux ponts sur la Saône qui, à leur tour, subissent le même sort. A l’exception de deux d’entre eux, le pont de l’Homme-de-la-Roche et la passerelle Saint-Vincent, sauvés par l’intervention d’un officier de réserve passé à la Résistance : Joseph Laval. Il connaissait très bien toutes les techniques de minage qu’il avait utilisées en quarante sur le front de Belgique.
En passant à côté des caisses, il fit semblant de nouer un lacet. Il put très vite désamorcer les charges, en arrachant les cordons détonants emboîtés dans les caisses d’explosif.
Cependant à l’Arbresle le défilé continue : blindés de tous calibres, porte-canons, automitrailleuses, camions chargés de troupes, motos et surtout nerveuses petites « Jeeps » passent interminablement, toujours salués d’acclamations délirantes.
Souriants, les soldats jettent des fleurs à la foule, des bonbons aux enfants et lèvent le bras, les doigts tendus dans le « V » de la victoire pendant que les fenêtres commencent à se garnir de drapeaux.
Au carrefour de la place Président Carnot, au plus fort du rassemblement, les gendarmes assurent un bienveillant service d’ordre, mais les autos qui circulent toujours activement ont beaucoup de peine à se frayer un passage.
En fin de soirée, ce sont les premiers éléments du 2ème cuirassiers qui passeront.
Chacun de ces engins porte un nom historique de bataille et de victoire, de saint ou de héros qui toujours rappelle un souvenir glorieux pour la France « Valmy », « Wagram », « Verdun », « St Louis », « Jeanne d’Arc », « Bayard ».
C’est le présent qui merveilleusement se rallie au passé en puisant ainsi dans le trésor des traditions les plus nobles et les plus pures de notre Histoire.
A 23 heures, il se trouvera encore des gens pour les acclamer, car la nuit même n’arrêtera pas le défilé qui durera plus de 48 heures. Et ce sont dix divisions, avec un effectif de 125.000 hommes, qui vont ainsi traverser l’Arbresle.
Dès l’arrivée des troupes, une ambulance militaire est installée au Grand-Hôtel, place de la Madeleine. L’hôpital intercommunal de la ville contribuera à sa mise en place en prêtant du matériel. Dès le soir même, plusieurs Allemands, gravement blessés au combat de la Chicotière, y seront amenés et opérés, puis transportés à Tarare.
Un dernier fait à signaler pour cette journée : le « Maquis » de Saône-et-Loire devait rejoindre à l’Arbresle l’armée De Lattre, mais en raison de l’avance rapide de cette dernière c’est â Anse que se fera la jonction.
Pourtant si l’Arbresle était tout à la joie, une autre commune du canton était dans la tristesse : celle de Sourcieux-les-Mines où dans la matinée du même jour, avaient eu lieu les funérailles d’un jeune partisan Paul Vlaziak, âgé de 20 ans, de nationalité polonaise, faisant partie d’une formation mitraillée à Ste-Concorce, par suite d’une regrettable erreur de l’aviation alliée.
Deux autres jeunes gens du pays appartenant aussi à ce groupe, avaient été de même gravement blessés. Transportés à l’hôpital de Ste-Foy-l’Argentière, tous deux devaient y succomber. Le corps de l’un d’eux, Roland Bourgeat, 19 ans, fut ramené à Sourcieux quinze jours plus tard, tandis que les funérailles du troisième, Roger Etienne, 18 ans, avaient lieu à Sainte Foy.
Dimanche 3 septembre
A Lyon, la libération amorcée la veille par l’est, avec les FFI, les Chasseurs et les Américains, se poursuit.
Les premiers éléments de la 1ère D.F.L. passés la veille à l’Arbresle, arrivent.
Vers 8 h 30, une jeep traverse le pont de l’Homme de la Roche épargné par l’explosion. Sur ce véhicule, quelques fusilliers-marins et un jeune officier : Stanislas Mangin, fils du général Mangin et beau-frère du général Brosset. Cette modeste patrouille constituait l’avant-garde de l’armée débarquée en Provence. Un peu plus tard, d’autres éléments de la 1ère D.F.L., dont le 1er régiment de fusilliers-marins, pénètrent dans Vaise.
Après le combat de la Chicotière, une unité F.F.I. commandé par Chaléas, dit « Berthier », gagne Lyon par Limonest, Saint- Didier, Saint-Cyr et Saint-Rambert.
Nuit mouvementée à l’Arbresle, les camions et camionnettes transportant les troupes n’ont cessé d’arriver par la route de Bordeaux. Le mouvement ne se ralentit pas. Un planton appartenant à la police de circulation routière, avec casque et mousqueton, se tient en permanence au carrefour de la place du Président Carnot. Son service n’est pas une sinécure. D’un côté l’armée qui ne cesse de défiler, de l’autre les nombreuses voitures qui circulent aussi rapidement que le leur permet l’encombrement. Et puis, il y a la foule, plus dense que jamais en ce jour dominical. Les clameurs sont telles qu’elles montent vers les communes voisines, dont les habitants ne tarderont pas à descendre pour venir partager son allégresse et mêler leurs applaudissements aux siens.
Jean Navard, déjà cité, raconte sa journée et son passage à l’Arbresle :
« … Sain Bel, L’Arbresle où la population nous attend, les bras chargés de fleurs, de bouteilles de vin, de fromages. Ils essaient de nous arrêter en se plaçant sur le milieu de la route et nous sommes obligés de ralentir pour happer au passage tous ces cadeaux. Nous ne pouvons nous arrêter totalement et c’est une course-relais entre l’aide-pilote qui reçoit les victuailles et les transmet à Figaro, qui les passe à Navarro qui me les remet afin que je puisse les ranger dans le fond de la tourelle. Ce n’est pas fini car maintenant les fleurs arrivent de partout et les chefs de chars essaient d’en attraper le maximum au vol. L’escadron semble sortir du Carnaval de Nice, le Capitaine, pourtant pas très démonstratif, laisse faire et participe même à la joie générale sous l’œil ébahi de Treilhou, son conducteur de jeep. Cela nous change de l’accueil de ce matin !
A l’Arbresle, toujours, le Nice rentre dans le décor et casse un barbotin. On se demande si Dupont, le pilote, ne l’a pas fait exprès pour permettre à l’équipage de se faire cajoler par une population si gentille ? Si c’est vrai, ils n’auront pas cette chance car le dépannage arrive peu après et le char reprend sa route rapidement… »
Le temps est splendide. Dans la ville pavoisée de drapeaux et de guirlandes, des soldats déambulent à travers les rues, pendant que des camions militaires sont garés sur la place de la Gare et sur celle de l’ancienne mairie.
Entre 10 h et 11 heures, on entend, en direction de Lyon, le grondement sourd du canon. On saura, peu après qu’un groupe d’artillerie ayant séjourné la nuit sur la colline de Fleurieux, s’est mis en batterie, près de Lévy, dans les prés de Fondroi et vient de tirer une vingtaine de coups sur les derniers convois allemands évacuant Lyon.
Son objectif est une route située à une dizaine de kilomètres, que vient de repérer l’observateur qui se tient au point culminant du rond-point du château du Chêne. Ici aussi, un jeune Arbreslois, issu de Saint-Cyr, le lieutenant Robert Prévost, qui n’est autre que le fils du colonel Prévost, participe à la bataille (voir Arborosa numéro 3).
A l’Arbresle, vers midi, atterrit sur un terrain du Champ d’asile, un avion de reconnaissance américain. Un officier est à bord, dont la mission est d’assurer la liaison avec les troupes françaises. Il repartira vers 15 heures.
Pendant ce temps, l’ambulance établie au Grand-Hôtel, continue de fonctionner. A 9 heures, elle reçoit trois Allemands que les Africains furieux voulaient exterminer, mais que l’aumônier militaire, un Père Blanc, a protégés et accompagnés lui-même à l’Arbresle.
Bientôt sont amenés des soldats français et pour sauver l’un d’entre eux amputé d’une jambe, une infirmière, Melle Desmours, se prête à la transfusion du sang. Hélas, malgré ce bel acte de dévouement, le pauvre soldat, originaire du Jura, mourra le lendemain à l’hôpital de Tarare, où on l’avait transporté.
Un autre blessé originaire d’Alger, Antoine Gerbet, âgé de 23 ans, ne tardera pas non plus à succomber des suites d’une fracture du crâne. Ses funérailles auront lieu à 16 h. Le clergé de la paroisse et un millier de personnes suivront son cercueil transporté par une auto militaire. On priera sur sa tombe, et pendant longtemps, jusqu’à son transport dans son pays natal, il reposera dans le cimetière de l’Arbresle, au milieu des soldats de la première guerre.
Un second décès survient dans la soirée de ce dimanche, celui d’un civil habitant à Lissieu, Pierre Damour, âgé de 54 ans, qui a reçu une balle dans la tête. Vers 18 h.30, il sera ramené dans sn village.
Mais, entre temps, l’ambulance reçoit l’ordre de se transporter à Lyon aux Terreaux. Elle quitte donc l’Arbresle, après un séjour de 24 heures, pendant lequel elle a procédé à 22 graves opérations et soigné 40 blessés.
La soirée s’avance et camionnettes, chenillettes, tanks, jeeps, motos, etc. continuent à défiler dans la rue Centrale. On fait la haie sur leur passage et plus que jamais, dans une immense clameur, on les salue et on acclame.
Minutes inoubliables, d’une incroyable ivresse, que ne peuvent vraiment ressentir que ceux qui les ont vécues, et dont le souvenir ne pourra jamais s’effacer. Et de même qu’hier, les ovations s’amplifient encore, s’il est possible, quand défilent des troupes noires. Ne faut-il pas les remercier d’être venues de si loin pour coopérer à la délivrance de la mère patrie et n’ont-elles pas acquis un droit spécial à la reconnaissance des Français ?
Les soldats répondent joyeusement à ce débordement d’enthousiasme, levant les bras pour saluer et s’efforçant de serrer quelques mains au passage. Puis, en riant ils tâchent d’attraper les fruits que se met à leur lancer une foule absolument emballée. Tour à tour, voiturettes, camions et même gros tanks, sont bombardés de pommes et de poires que les soldats reçoivent dans leurs mains, dans leurs casques, et même parfois… en pleine figure ! Ce qui ne fait qu’ajouter à la gaieté générale.
Mais par contre, ce sont bientôt des huées de vociférations qui s’élèvent autour de trois camions remplis d’Allemands prisonniers, qui traversent l’Arbresle pour être dirigés sur le camp de Saint–Laurent-de-Chamousset, pendant que les autos F.F.I. continuent péniblement à se frayer un chemin au milieu de l’encombrement de la chaussée.
Jusqu’ici tous les convois quittant l’Arbresle empruntaient soit la route nationale 7 passant par Fleurieux, soit la route nationale 496 passant par Lozanne, qui toutes deux conduisent à Lyon. Mais aujourd’hui une partie des véhicules bifurquera au carrefour de la Place Président Carnot pour aller prendre la montée de Saint-Germain et rejoindre ainsi la route de la vallée d’Azergues.
Et déjà même, d’autres unités, non loin de la Brévenne, se seront détournées pour suivre la route passant par le col de la Luère.
Ainsi, c’est en utilisant toutes les voies et avec une surprenante rapidité que pourra s’effectuer l’investissement de Lyon. Mais conscients du péril, les Allemands vont l’évacuer précipitamment après avoir pris la précaution de détruire ses ponts, et ce jour-même, colportée par des piétons, parviendra l’heureuse nouvelle de sa délivrance.
Bernard Isnard