Rues ou lieux – le quartier Sapéon
Résumé
Sapéon, de la rue à la place Origine du mot Sapéon C’est le patronyme d’une vieille famille arbresloise, attesté dans les archives au moins depuis le XVIème siècle– 1558 : Anthoine SAPPEYON, laboureur de L’Arbresle vend «un petit coing de la symme d’un pré, chenevyers et jardin situés près la ville de L’Arbresle… ».
– 1638 : «Jean SAPPEON, tisserand audit Arbresle, a reçu d’Antoine Joly, laboureur de Lentilly, 300 livres pour dot de Laurence Joly, sa femme».
– Le 16 juin 1629 la peste tue Antoine SAPEON, cordonnier au faubourg St Julien, habitant une maison attenante au pont.
Diverses attributions du nom
Il semble que ce soit d’abord le pont qui franchissait la Turdine qui ait porté le nom de Sapéon. Est-ce seulement la proximité ou la contiguïté de la maison Sappeyon avec le pont qui est à l’origine de cette appellation, ou bien cette famille a-t-elle participé à sa construction, à sa garde, à son entretien…?
Le début de la rue Sapéon avant sa démolition
En 1451, les cartes terristes mentionnent une maison « juxta carreriam publicam tendentem du Triompheur ad portam pontis… » (qui jouxte la charrière publique tendant du Triompheur à la porte du pont), sans citer le nom de Sapéon.
L’autre extrémité de la rue, près du pont
En revanche, dès 1542, on parle du « chemin tendant du PONT SAPPEON dudict L’Arbresle à St Germain… » ou encore en 1574, « la charrière tendant du PONT SAPPEYON à la petite fonteyne… » , en 1698, « louage d’une chambre située près le PONT SAPEON »….
En 1668, la description de l’état du grand chemin royal de Lyon à Paris mentionne « ledit pont de la rivière Turdine est composé d’une arcade, son pavé en bon état, ses parapets par les deux faces dégradés sur dix toises de longueur… ledit pont et ses avenues ayant vingt six toises de longueur avec une porte carrée au bout d’icelui supportée par des jambages en pierres taillées ».
La crue de 1715 emporte le pont qui ne sera pas reconstruit à cet emplacement : dès 1716, on peut lire « la rue tendant de la place du marché à L’ANTIEN PONT SAPEON… » ou encore en 1754 « la rue tendante du trionfeur à l’ANCIEN PONT SAPEON ». Le plan du bourg de L’Arbresle dressé vers le milieu du XVIIIème siècle porte la mention « icy était le pont Sapéon ». En l’an II de la République on parle encore de « la rue tendant à L’ANCIEN PONT SAPPEON ».
A l’emplacement du pont disparu, aucun autre moyen de franchissement n’est indiqué sur le cadastre de 1829. Pourtant, cette même année, un texte nous apprend qu’on traverse la Turdine par la Planche Sapéon, en bois, remplacée par une passerelle métallique en 1870.
L’appellation rue Sapéon est relativement récente. Elle s’est nommée d’abord :
– Au XVème siècle : «carreriam publicam tendentem du Triompheur ad portam pontis» (la rue qui tend de la place du Triompheur à la porte du pont) – Au XVIIème siècle : «grand’rue tendant de la place du marché au pont Sappéon » ou encore « rue tendante de la grande rue au Pont Sapéon » En effet, jusqu’au XIXème à L’Arbresle, rares sont les rues qui portent un nom, elles sont plutôt désignées par rapport aux lieux qu’elles relient.
La passerelle Sapéon
C’est en 1848, lors du premier baptême systématique et officiel des rues de la ville, qu’on dénomme «une rue qui était autrefois la route royale longeant la Turdine et se terminant à une passerelle qui remplace l’ancien pont détruit par l’inondation appelée déluge de Tarare, RUE SAPEON ».
Enfin, la démolition graduelle de tout un côté de la rue au cours des années 1960 entraîne un ultime glissement du toponyme : la rue Sapéon devient la Place Sapéon connue aujourd’hui
Plan du quartier selon un cadastre datant des environs de 1750
Nous sommes dans le bas quartier de la ville, entre le rocher qui supporte château et église, et la rivière Turdine. C’est là que la grand’rue principale (aujourd’hui rue du Marché), relativement rectiligne depuis la porte de la Madeleine, oblique à angle droit place du Triompheur, en direction de la porte et du pont Sapéon, en délaissant à gauche la ruelle des Planches qui fut peut-être primitivement la sortie initiale de la ville avec passage à gué de la rivière.
Le quartier est confiné par la «muraille de ville» qui comporte ici trois issues : la voûte Bourchanin à l’ouest, la porte des Planches au nord. Le plan n’évoque pas la porte, pourtant attestée au XVème siècle, du pont Sapéon (disparu alors). En ce dernier endroit, face à l’actuel Musée, on voyait encore au début des années 1980 la maison Flachard dont la courbure des fondations, côté rivière, pouvait faire penser à une ancienne tour, ce qui n’est pas confirmé par le plan qui situe pourtant les autres tours de l’enceinte urbaine. Le fragment de rempart conservé de nos jours place Sapéon joignait le côté est de la porte des Planches.
La voie publique qui ne s’appelle pas encore «rue Sapéon» est bordée au nord d’un îlot de maisons comportant des jardins à l’arrière, sillonné de ruelles ou passages plus ou moins étroits desservants des bâtiments à usage agricole – chapys, écuries, granges, cuviers…- ainsi que des cours.
Une maison appartenant à Pierre Rodet comporte une tourelle d’escalier sur cour intérieure avec galerie : c’est la maison dite «Forest» ou «Boissier», bâtisse renaissance impitoyablement rasée en 1966. La venelle qui borde cet édifice à l’est se nomme impasse es Tanneries aux XIX et XXème siècles mais porte le nom, en 1788, de «ruette de Rodet ».
On connaît un certain Etienne RODET qui était boucher à L’Arbresle en 1744 et un Pierre RODET, aussi marchand boucher en 1813.
Disparition du quartier
L’agonie du quartier débute au XIXème siècle par la démolition de la voûte Bourgchanin, en projet dès 1858, et réalisée en 1888.
Les délibérations municipales, soucieuses de la salubrité publique, dépeignent un «passage étroit et infect» qui, «étant situé dans le quartier bas de la ville reçoit toutes les ordures des quartiers plus élevés».
Comme en écho, un siècle plus tard, une délibération de 1953 demande le classement de l’îlot Sapéon en «quartier insalubre». Le tout récent legs Pierre-Marie Durand stimule les grands travaux. En 1956, un architecte est contacté pour dresser un plan d’urbanisme de la place Sapéon. Dans la foulée, une Société d’Economie Mixte est créée en vue de la construction d’immeubles neufs (idée récurrente jusqu’en 1977). En 1958, les termes d’ «îlot défectueux» et de «plan d’assainissement» tentent de justifier les expropriations. Le vocabulaire des élus du temps hésite entre les euphémismes prudents tels qu’«aménagement» ou «rénovation» et les mots plus directs comme «destruction» voire «curetage».
En 1959, les premiers accords avec certains propriétaires précèdent les acquisitions d’immeubles estimés par le service des domaines. Au milieu des années 1960, les démolitions succèdent aux achats à l’amiable ou aux expropriations. Le lavoir appuyé contre le mur d’enceinte de Dalmace est détruit en 1967.
La démolition est en cours
En 1977, les Amis du Vieil Arbresle tentent de sauver en vain la maison à tourelle dite «Dure », sur le haut de la place. Enfin, au milieu des années 80, disparaît la «maison Flachard» qui aurait pu faire face au futur musée…
En vingt ans, le centre historique de L’Arbresle a donc perdu un septième de sa surface et le tissu urbain hérité du Moyen Age est amputé de trois rues et d’une vingtaine de bâtiments, dont deux de grande valeur architecturale.
L’action des Amis du Vieux L’Arbresle
Dés sa création, l’association des Amis du Vieux L’Arbresle s’est préoccupée de la sauvegarde du quartier Sapéon, ainsi que le prouvent les notes manuscrites laissées par le président Louis SAINCLAIR. En 1964 : «Nous nous sommes entretenus avec la société civile pour la démolition du quartier Sapéon dont Monsieur BATAILLON est le président. Des explications données, il résulte que les immeubles déclarés insalubres situés rue Sapéon seront bientôt démolis. Cela fait, on envisagera de construire un premier immeuble… Nous avons rencontré près de Monsieur BATAILLON une réelle compréhension pour la sauvegarde du passé. Nous essaierons d’un commun accord de récupérer les restes du passé qui auront de la valeur. Provisoirement, un musée lapidaire situé 4 avenue de la Gare recueillera les pierres qui pourront être sauvées».
En mai 1965, l’association est invitée par le maire Joseph CHARVET à visiter les vieux quartiers en compagnie de M. THEVENOT, architecte des Monuments Historiques. Celui-ci conclut que seule la maison du Cardinal d’Epinay (maison Jacques Cœur) peut être classée Monument historique et être conservée comme telle. La remarquable maison «Forest» est condamnée comme toutes les autres : les Amis du Vieux L’Arbresle ne parviendront qu’a récupérer la porte principale (aujourd’hui porte du musée), quelques marches de l’escalier en colimaçon, et diverses pierres provenant d’arcatures. Exposés dans le musée lapidaire, chez Monsieur SAINCLAIR, jusqu’en 1977, ces vestiges ont rejoint en 1995 le second musée…18 place Sapéon !
L’aménagement de la place en parc de stationnement et en espace public est un moindre mal comparé aux projets de constructions d’immeubles. Il faut reconnaître que le parking gratuit est devenu indispensable. Les gradins en ciment et la pergola, bien que d’une esthétique discutable, ont accueilli bien des manifestations arbresloises. Le parking se libère pour le marché hebdomadaire et à l’occasion de manifestations régulières (le marché aux puces de la Mjc, le 8 décembre, concerts d’été…) ou exceptionnelles (on se souvient du bicentenaire de B. Thimonnier en 1993, des premières éditions du festival «Région’R», de l’unique festival «Transarts » arts de la rue).
La place est parée de quelques monuments contemporains (la fontaine, œuvre de Michel LAPANDERY) ou antiques (le mur d’enceinte du XIème siècle et la borne de la route royale). Des arbres ombragent les véhicules en stationnement… mais les enduisent parfois d’une gomme tenace ! Le programme municipal d’aide aux restaurations de façades a redonné des couleurs à certaines maisons riveraines. Le trio Musée / Office de Tourisme / Restaurant a redonné vie au fond de la place.Point de repère et de regroupement, la place Sapéon est devenue le point de départ :
– du circuit du Vieux L’Arbresle, jalonné de 14 panneaux explicatifs, créé par la commune
– de circuits de randonnée balisés par le Conseil Général du Rhône
– du tour pédestre du Pays de L’Arbresle (60 km) balisé par la Communauté de Communes
En guise de conclusion
Si l’expérience montre qu’au tournant des années 1980, avec des moyens, du goût et de la volonté, des immeubles vétustes ont pu être sauvés et valorisés (exemple : le musée et l’Office de tourisme), le quartier Sapéon n’est plus. De ses ruelles et masures, de ses cours et jardinets, de son ambiance populaire, il ne reste que quelques photos et la chanson ci-dessous..
Bernard Rostaing
à suivre….
Sources : Archives Départementales du Rhône, Archives Communales de L’Arbresle, Archives des Amis du Vieux L’Arbresle
Voici quelques vers d’un auteur inconnu qui sont certes admiratifs, et probablement pleins d’humour !
La Chanson de la rue Sapéon
Pardonne-moi oh ! ville de l’Arbresle Ville féconde en hommes de talent Pardonne moi si ma plume rebelle Ose affronter ton précieux jugement En me servant de ton inspiration sainte Moi l’auteur de ritournelle sans raison Si je ne puis créer de complainte Je parlerai de la rue Sapéon (bis) (Refrain) Ne vous vantez de connaître l’Arbresle Que si par cœur vous savez ma chanson Car de nos rues je dit que la plus belle Assurément c’est la rue Sapéon (bis) De la rue du Marché à la Planche S’étend la rue pleine de majesté La peinture des maisons jadis blanches Atteste encore de son antiquité Des vestiges de splendeurs seigneuriales Apparaissent au seuil de chaque maison Si ce n’est plus la route nationale Rien n’a terni son glorieux blason (bis)