Le petit patrimoine

Le lavoir de l’impasse des Planches

Résumé

 Dans notre ville traversée par deux cours d’eau, les ménagères ont longtemps pratiqué leur lessive à la rivière. Mais à partir du 19ème siècle, cette habitude séculaire fut contrariée par le développement des industries et un accroissement de la population qui n’était pas encore accompagnés de mesures d’assainissement des eaux usées.

La Turdine était particulièrement touchée : en 1865, les autorités déplorent que « six lieux d’aisances versent leur produit dans la rivière, plusieurs fosses où on dépose le fumier infestent le voisinage, que les bouchers infectent aussi la rivière en y lavant les intestins des animaux qu’ils ont abattus ».  En 1868, l’usine d’épuration de sulfate de baryte (ancien moulin de Valous, près de l’actuel stade municipal) est accusée de polluer la Turdine « en y déversant les eaux de lavage contenant des matières terreuses en suspension et des sels nuisibles, les rendant impropres aux usages domestiques », et notamment au lavage du linge.

 Le 3 octobre 1936, la municipalité de L’Arbresle lance le projet de construction d’un lavoir communal, constatant « que les deux rivières Turdine et Brévenne ont un débit à peu près nul la majeure partie de l’année, et que pendant cette période il est tout à fait impossible de procéder au lavage du linge avec toutes les garanties de propreté désirables. » Souhaitant allier l’hygiène à la commodité et proposer à tous une eau saine et abondante, les édiles chargent les architectes SALAGNAC père et fils d’aménager un lavoir public dans un édifice existant, impasse des Planches.

""  Sur cette photo des années 50, le quartier Sapéon existe encore ; c’est aujourd’hui un parking.

        On distingue en bas à droite partie du mur d’enceinte qui subsiste encore aujourd’hui.

En effet, la commune avait acquis en 1922, pour la somme de 2000 francs, la propriété des héritiers GRANGE-SAUVADET composée « d’un bâtiment servant d’écurie remise avec grange au-dessus, d’une cour et à la suite d’un autre bâtiment servant de cave et entrepôt au-dessus, longeant la rivière Turdine ». Le tout était appuyé, côté nord, sur un vestige du mur d’enceinte construit par l’abbé Dalmace en 1060.

 Sur leurs plans datés du 1er décembre 1936, les architectes approprient ainsi la bâtisse : création d’une grande ouverture vitrée du côté de l’impasse ; installation d’un bassin (à deux bacs) long de 5 mètres et large de 3 mètres, doté sur les grands côtés d’une planche à laver cimentée avec goulotte d’évacuation des eaux de savon ; établissement d’un raccordement au réseau d’eau de la ville et d’une canalisation d’évacuation des eaux usées ; mise en place de deux chaudières gainées ; transformation de la cour en séchoir, avec sept rangées de fils d’étendage ; création d’un WC.

 Les travaux sont réalisés pendant l’année 1937. Il ne restait plus qu’à réglementer l’accès du public par la délibération municipale du 3 février 1938 : voici le texte intégral de ce règlement :

Règlement du lavoir municipal

« Le conseil municipal considérant que le lavoir, situé impasse des Planches, dont la construction vient d’être achevée, va incessamment être ouvert au public, et qu’il y a lieu d’envisager une réglementation, tant en ce qui concerne la bonne marche dudit lavoir qu’en ce qui concerne la perception de la location de chaudières, décide :

Le règlement – tarif ci-dessous est adopté et entrera en application à la date du 1er avril 1938.

Article 1er : le lavoir public, l’étendage et les WC, impasse des Planches, sont laissés entièrement et gratuitement libres aux personnes habitant l’Arbresle qui voudront faire usage de l’eau pour le lavage exclusif du linge.

Article 2 : les personnes qui emprunteront le lavoir pour rincer seulement le linge ne devront jamais gêner celles qui auront loué une chaudière. Ces dernières auront droit à leur place qui se trouvent fixées, au lavoir, côté chaudière, pendant toute la durée de la location.

Le linge qui empruntera l’étendage dans la cour ne devra pas y séjourner au delà de la journée.

Article 3 : deux chaudières avec deux baquets pour chacune, seront mises à la disposition des personnes qui en feront la demande. Le prix de location d’une chaudière est fixé à 2,50 F. pour la demi-journée et 5 F. pour la journée entière.

Les chaudières louées et occupées le matin seulement devront être rendues libres à midi au plus tard.

La location donne droit à la gratuité de l’eau nécessaire aux besoins des chaudières.

 Article 4 : toute occupation de chaudière de moins d’une demi-journée est comptée pour une demi-journée et celle de plus d’une demi-journée est comptée pour une journée entière.

Le bois et le combustible nécessaire à leur chauffage sont à la charge entière des occupants qui ont toute liberté pour leur approvisionnement.

 Article 5 : il est formellement interdit d’allumer du feu sous les chaudières sans les avoir, au préalable, alimentées d’eau et le foyer devra être complètement éteint avant de procéder à la vidange de tout liquide. De même, est interdit l’extinction desdits foyers aux moyens de projection d’eau.

Toute personne demeure entièrement responsable des dégâts qui seront produits aux chaudières et baquets et elle aura à acquitter soit le prix des réparations soit le prix d’achat s’il est pourvu à leur remplacement dans le cas où ils seraient irréparables.

En cas de refus, l’accès du lavoir public lui sera interdit et l’administration municipale aura le droit, si elle le juge à propos, d’intenter toute poursuite pour obtenir réparation du préjudice causé.

 Article 6 : dès la fin du travail, tout locataire devra vider et remettre la chaudière qu’il aura occupée en parfait état de propreté. Le foyer sera vidé de ses cendres qui devront être déposées dans une poubelle appartenant à l’établissement.

 Article 7 : les chaudières seront désignées sous les numéros 1 et 2.

Chaque chaudière fera l’objet d’une location et ne pourra être occupée que par un seul ménage.

Les inscriptions pour retenir les chaudières seront reçues au secrétariat de la Mairie, tous les jours, sauf les dimanches et jours fériés, de 9h à midi. Elles seront prises dans l’ordre sans accorder aucun tour de faveur et seront classées de façon à établir un roulement qui puisse permettre à chaque personne qui en ferait la demande, de faire usage d’une chaudière.

En échange de la somme versée, il sera remis un ticket numéroté.

 Article 8 : durant l’occupation des chantiers, les locataires, lorsqu’ils seront requis, devront présenter leurs tickets aux agents municipaux chargés du contrôle.

En cas d’infraction, la taxe à acquitter sera quadruplée et immédiatement exigible contre la délivrance de tickets représentant la valeur de la somme versée.

En cas de récidive, l’accès au lavoir sera interdit aux fraudeurs.

 Article 9 : le préposé à la délivrance des tickets versera à la recette municipale les sommes provenant de ce produit.

 Article 10 : il est formellement interdit de scier et de casser du bois soit dans le local du lavoir soit dans la cour de l’étendage.

 Article 11 : il est expressément interdit de toucher aux robinets et vannes servant au réglage de l’eau d’alimentation du lavoir et des chaudières. Toute personne qui manipulerait ou tenterait de manipuler ces appareils pour diminuer ou augmenter le débit de l’eau dans le lavoir s’exposerait à de sévères pénalités et, dans le cas de récidive, se verrait interdire l’accès au lavoir.

 Article 12 : en cas de réparations ou de modifications jugées nécessaires dans les locaux du lavoir, en cas aussi de fortes gelées, l’Administration municipale pourra se trouver dans l’obligation de réduire ou de modifier les heures d’ouverture et même de fermeture de l’établissement pour la durée de temps nécessaire ou imposée par la température.

 Article 13 : aucune dégradation ne devra être faite soit à l’immeuble soit au matériel et les responsables seront tenus d’en payer intégralement les dommages. En cas de refus ou de récidive, l’accès au lavoir leur sera interdit.

 Article 14 : les usagers ne devront jamais entreposer dans quelque partie que ce soit du local, ni même à l’extérieur, des objets ou marchandises tels que : brouette, balle, baquet, charbon, bois etc. qui pourraient apporter une gêne à la circulation, ou à la bonne marche de l’établissement et ils en demeurent entièrement responsables.

 Article 15 : l’administration décline toute responsabilité du fait de perte ou de vol de linges, objets divers etc. qui pourraient se produire dans l’établissement. De même pour tous accidents qui y surviendraient et qui ne seraient pas imputables à une faute de l’Administration Municipale.

 Article 16 : le lavoir sera ouvert au public tous les jours, sauf les dimanches et les jours fériés :

De 7h à 18h du 1er avril au 30 septembre

De 7h à 17h du 1er octobre au 31 mars

En ce qui concerne l’usage du lavoir pendant la journée du samedi, la priorité est réservée aux laveuses non professionnelles. Exception faite toutefois, pour les laveuses professionnelles qui auraient loué une chaudière ce jour là.

L’accès aux locaux de l’établissement est formellement interdit à toute personne n’ayant rien à y faire.

 Article 17 : le présent règlement sera affiché à l’intérieur du local en un emplacement qui permettra à toutes personnes pénétrant dans l’établissement d’en prendre connaissance.

 Article 18 : le présent règlement – tarif ne pourra être modifié que par décision du Conseil municipal, applicable après approbation de l’autorité supérieure.

Article 19 : l’agent préposé à la délivrance des tickets, le garde champêtre sont chargés de l’exécution du présent règlement – tarif. »

 Le lavoir communal ne servira qu’un peu plus de deux décennies. Même si des réparations sont effectuées en 1956, il était délaissé au début des années 1960. Au même moment, les machines à laver se répandent rapidement dans les foyers… Bientôt, la démolition progressive du quartier Sapéon allait faire disparaître le lavoir, en 1967, mais le fragment de mur d’enceinte était sauvé grâce à l’action des Amis du Vieux L’Arbresle.

 Aujourd’hui, le souvenir s’estompe : seules quelques anciennes arbresloises, comme Mesdames Paul Silvestre, Johannel, Chaverot, se souviennent encore y avoir rincé leur linge vers 1948…

""  Le lavoir caché derrière le mur d’enceinte

Bernard ROSTAING-TAYARD

 

Une arbresloise se souvient du lavoir :

« Nous en avions entendu parler mais je n’ai découvert le lavoir que vers la fin 1937 lors de nos vacances, il fonctionnait déjà.

 Il fallait voir tôt le matin les ménagères arriver avec leurs brouettes en bois chargées du linge mis au savon la veille dans des baquets galvanisés (le blanc), puis le nécessaire pour allumer les chaudières et le petit matériel (lessive, savon, battoir, javel).

Les cantonniers (Messieurs BERAS et BOURRIQUAND) qui étaient chargés de l’entretien.

A l’ouverture de la porte, c’était la ruée. Une fois la chaudière chargée, le linge blanc bouillait, et pendant ce temps, certaines retournaient chercher le linge couleur pour le mettre dans le « lissieu », une fois que le linge blanc avait bouilli. Mais il fallait faire la garde car certaines resquillaient pour prendre ce qui était tout prêt. Le lavage se faisait dans le premier bassin vers les chaudières et le rinçage dans celui en prolongement. Le sol autour des bassins était recouvert de caillebotis.

Pour certaines, la journée se passait au lavoir avec un petit casse-croûte à midi, car le linge de l’époque était lourd, rien à voir avec ce que l’on voit maintenant. L’hiver surtout, les caleçons masculins en coton gratté, les maillots également étaient lavés en même temps que les draps et les femmes appelaient les enfants qui venaient voir pour les aider à tordre le linge et l’étendre dans la cour où il y avait des fils d’étendage assez nombreux.

C’était plus agréable l’hiver car il faisait chaud au lavoir et il ne fallait plus casser la glace de la rivière pour rincer. Petit à petit, tout cela s’est dégradé, surtout après la guerre.»

Josette FAURE DUMILLY, décembre 2006