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Barthélémy Thimonnier et la famille Dubost

Résumé

LE  TEMPS  DES  INVENTEURS

par  Pierre  VALIN

Dans un article paru en 1907, Pierre Valin, écrivain et journaliste, nous fait découvrir les différentes facettes du génie inventif de Barthelemy Thimonnier. Il nous permet de considérer avec un œil nouveau les liens qui unissaient cet illustre inventeur à l’Arbresle, son lieu de naissance mais aussi  aux familles avec lesquelles il était apparenté : les Dubost , également famille d’inventeurs et les Valin.

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De son vivant méconnu, bafoué, éconduit par nombre de gens, aidé faiblement par quelques uns, exploité, dépouillé plus souvent par les habiles ; d’autre part, conspué, menacé d’assassinat par les égarés s’imaginant que la couture mécanique allait faire tort aux ouvriers et ouvrières, Barthelemy Thimonnier va être enfin glorifié, dès juillet de cette année 1907, juste un demi siècle après sa mort, dans le dénuement et l’obscurité. Mieux vaut tard que jamais.

Foule innombrable de ceux qui s’intéressent à l’hommage rendu à l’inventeur de la machine à coudre, lequel va se trouver coulé en bronze pour la postérité.

Pour compléter l’hommage, il reste à dire sur l’inventeur ce que, malgré tout le talent du statuaire, le bronze muet ne saurait dire ; c’est l’objet de cette notice.

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Pour commencer, remontant aux origines de l’inventeur de la machine à coudre, on trouve parmi ses  ascendants : "François THIMONNIER, notaire royal, par lettres et provisions à lui accordées par sa Majesté, le 30 Novembre 1768, et commissaire ès droits seigneuriaux".

De ce personnage, grand-père de Barthelemy Thimonnier, il existe, à la bibliothèque des Hospices de Lyon, un curieux manuscrit, sorte de mémento ou journal, tenu au jour le jour, dans lequel se trouve relaté tout à la fois des événements intéressant l’histoire ou simplement la personnalité de l’auteur.

Le notaire royal, commissaire feudiste, habitait rue Tramassac, paroisse de Saint-Pierre-le-vieil-de-Lyon. Sa famille parait être originaire du Forez. Il avait épousé la fille d’un bourgeois lyonnais, demoiselle Jacqueline Renard, dont il eut un fils, Jean-François Thimonnier.

Le 5 Février 1792, ce fils épousa, à l’Arbresle, Élisabeth Dubost, fille de Jean-Pierre Dubost "prud’homme, géomètre expert, et commissaire feudiste pour l’Abbaye de Savigny et autres Seigneuries de moindre importance que celle des Moines Bénédictins."

La mère d’Élisabeth Dubost, Pierrette Desvernays, de Saint-Symphorien-de-Lay, comptait, également, des feudistes en sa famille.

Tous ces alliés étaient donc de profession libérale et quelque peu féodale.

L’année suivante du mariage de Jean-François Thimonnier avec Élisabeth Dubost,  naquit d’eux un enfant,  Barthelemy Thimonnier,  le futur inventeur. La date exacte de la naissance est indiquée à l’état civil de la commune de l’Arbresle : "Aujourd’hui, dix-neuf août mil sept cent quatre-vingt   treize, l’an second de la République, Élisabeth Dubost, épouse en légitime mariage, du citoyen  Jean-François Thimonnier, domicilié à l’Arbresle, est accouchée d’un enfant malle" , selon l’orthographe de l’officier municipal Lacroix.

L’inventeur de la machine à coudre est donc incontestablement né à l’Arbresle, où habitèrent, pendant plusieurs années son père et sa mère avant d’aller vivre dans une propriété rurale à Amplepuis.

Associé avec son beau-frère Pierre-François Valin,  qui avait épousé Pierrette Dubost,  sœur de la mère de Barthelemy Thimonnier, le père de ce dernier créa à l’Arbresle une petite usine de teinture et de fabrication de cotonnes. La guerre avec les Anglais qui interceptaient les exportations en France rendait cette industrie avantageuse.

Le beau-père des deux associés possédait une ancienne propriété seigneuriale dite de la Pomme de Pin,  aux portes de la bourgade, dont une dépendance,  le pré de la Magdelaine,  s’étendait sur la rive droite de la Brévenne.

En cette prairie, sujette aux inondations fréquentes, Jean-François Thimonnier, avec une imprévoyance rare, avait édifié son usine ; vint une crue torrentielle et tout fut emporté,  la construction rasée,  le matériel à vau-1’eau. C’était une perte de plus de trente mille francs,  somme point insignifiante à l’époque, où les capitaux étaient de beaucoup plus rares que de nos jours.  

Du fait de cette quasi ruine de son père, Barthelemy Thimonnier, dès le berceau se trouvait touché par l’infortune, comme si une fée maligne eut présidé à sa naissance, et elle ne devait jamais cesser de lui jouer de mauvais tours pendant toute son existence.

L’établissement industriel disparu, il ne restait pour toute fortune au père de Barthelemy Thimonnier que son domaine rural aux environs d’Amplepuis. Il ne tarda point à s’y réfugier avec sa famille.

Le domaine eut été suffisant pour l’entretien d’une famille ordinaire, mais voici qu’en quelques années son propriétaire se trouva à la tête d’une splendide famille, une douzaine d’enfants, doués d’un appétit ! . . .

Il en résulta presque la détresse, la subsistance était à peine assurée ; très souvent le menu des repas de cette famille "bénie du ciel", comme il est d’usage un peu ironique de le dire, ne se composait que de pommes de terre cuites à l’eau. Toutefois, la sobriété du régime, atténuée par la vie au grand air, ne nuisit nullement à la belle venue des enfants qui tous furent d’assez grands et solides gaillards.

La pauvreté n’affecta non plus leur père qui trouvait sa situation supportable ; à tel point que sa bonne humeur est restée légendaire dans la famille, où j’en ai souvent entendu citer des traits, celui-ci par exemple : sa femme, mère pleine de sollicitude, gémissait souvent sur la pauvreté de la maison ; elle s’inquiétait du lendemain pour les enfants et dans un coin, à l’écart, elle essuyait des larmes furtives. Parfois son mari s’en apercevait ; alors il se précipitait, allait la prendre par la main l’enlacer par la taille et, moitié de gré, moitié de force, 1’entraînait en chantant tra-déri-déra, et la faisait danser autour de la salle à manger. C’était un peu la danse devant le buffet presque vide. Néanmoins, la brave femme, subjuguée par tant d’affectueuse bonne humeur, se laissait aller à rire et à se laisser pénétrer d’un peu de joie. Elle oubliait alors ses  noirs soucis et reprenait courage pour un jour ou deux.

Mais l’infortune devait l’atteindre jusqu’à l’extrême ; un jour elle fut frappée de cécité complète. En cette infirmité, elle ne cessa toutefois de tricoter des bas avec une célérité rare, même chez une personne qui n’eut pas été aveugle. Si maigre que fut le salaire, il s’ajoutait aux ressources de plus en plus restreintes de la famille, dont le domaine rural s’émiettait petit à petit, passant à des mains étrangères.

Par cet aperçu de l’existence dans le milieu de sa famille, on voit que ce ne fut pas une jeunesse dorée que celle de Barthelemy Thimonnier. Il débuta comme il mourut, frisant la famine.

Absolument dénué des dons de la fortune, le voici cependant grand garçon et pourvu d’un bon tempérament. Une richesse comme une autre.

Ses  parents visent de faire à cet aîné de leurs enfants une situation pas trop misérable, telle qu’on la faisait jadis, très souvent aux cadets de famille : il sera tonsuré. Barthelemy Thimonnier est conduit au séminaire.

Mais ses parents ont compté sans le caractère indépendant du jeune homme ; il n’a pas du tout la vocation d’être abbé et son éducation est à peine commencée qu’il s’enfuit du séminaire.

C’est ainsi qu’aux approches de ses dix huit ans, on le retrouve apprenti tailleur à l’Arbresle, son pays natal, où subsistaient encore sa grand-mère, nombre de ses  tantes et oncles, dans une situation assez aisée pour lui venir en aide, si son incartade 1’a brouillé avec ses  plus proches autres parents.

Dès ce moment, Barthelemy Thimonnier apparait comme une silhouette quelque peu étrange, non banale, et de celles qu’on ne rencontre point à chaque pas dans la campagne : ce n’est point un paysan, encore moins a-t-il rien de l’aspect déluré d’un ouvrier d’usine, il a plutôt celui d’un séminariste à peine émancipé ; il a surtout les allures d’un songe creux timide, en redingote élimée, avec de longs cheveux en broussaille ; la physionomie est passablement ahurie, mais illuminée d’une extrême expression de bonté et d’intelligence ; le front est large, vaste et doit receler la flamme imaginative ; les compatriotes du futur inventeur sont persuadés qu’il recèle un hanneton – nul n’est roi en son pays -.

Cet énigmatique grand garçon n’a rien non plus de la folle exubérance de la première jeunesse ; il est méditatif, point enclin aux divertissements de son âge, on ne le rencontre pas aux guinguettes champêtres, ni aux bals sous l’ormeau hantés chaque dimanche, par ses  nombreux jeunes cousins et autres camarades du pays natal.

Barthelemy Thimonnier préfère, en ses  jours de loisirs, s’enfermer seul dans sa chambre pour y méditer à son aise, ou bien encore, il s’en va faire de lentes et longues promenades par les sentiers agrestes solitaires.

Que rumine-t-il dans la solitude ? Quelque invention en germe dans son cerveau fébrile ? La recherche de l’absolu ? Pis que cela, le mouvement perpétuel.

Cependant approche le temps de la conscription ; Barthelemy Thimonnier va être arraché à ses creuses et chères méditations, à son amour de l’indépendance qui l’a fait s’enfuir du séminaire.

Le jeune songe creux est désolé ; son rêve à lui n’est point sanglant ; il ne médite point l’innovation de canons tirant soixante coups à la minute, d’explosifs assez puissants pour réduire une cité toute entière en ruine, d’engins assez meurtriers pour anéantir, d’un seul coup, toute une population. Non, son rêve est idyllique, humanitaire, il cherche des instruments de travail et de paix, il voudrait trouver des engins de soulagement pour l’ouvrier et l’ouvrière, que la mécanique ingénieuse aiderait, remplacerait presque dans le labeur quotidien. Plus de fatigue dans la lutte pour la vie.

Son esprit s’enfièvre à la pensée d’être arraché à un si beau songe, et Barthelemy Thimonnier témoigne à ses  proches de sa répulsion pour le service militaire. Que n’est-il infirme, il le regrette. Alors…

Un jour il rentre d’une de ses  promenades champêtres la main gauche mutilée, et il raconte qu’en poursuivant un joli lézard vert sur la roche Chatillon, au rivage de la Brévenne, il a eu les deux premières phalanges de deux doigts, l’index et le majeur, coupées nettes par un bloc qui a roulé dessus.

Le conte n’abuse personne ; la vérité c’est que le pauvre garçon s’est mutilé lui-même avec ses grands ciseaux de tailleur, afin de ne plus être propice au service militaire. Cela n’empêche que, lors du conseil de révision, par punition, le mutilé est enrôlé dans le service auxiliaire de l’armée. Voilà donc le malheureux inventeur de chimères enrégimenté quand même.

En attendant que la chute prochaine de l’Empire le libère et le rende à ses  rêveries innovatrices, faisons connaissance avec la famille des Dubost – Du Bost avant la révolution – et nous verrons, que du côté de ses proches, Barthelemy Thimonnier a de qui tenir pour le génie inventif.

Chez les ascendants paternels de Barthelemy Thimonnier, son grand-père, ni son père ne témoignent nullement avoir l’esprit tourné vers l’invention mécanique ; mais du côté maternel, c’est tout autre chose : sa mère est une Dubost, et, de ce côté, il y a toute une pléiade d’inventeurs lyonnais.

C’est une famille ayant une empreinte que celle de ces Dubost ; cerveaux fébriles pour la plupart, l’inactivité leur est impossible ; presque pas un n’arrive à se tenir tranquille. Plusieurs sont militants sous la Révolution ; ils se font guillotiner ou fusiller, on en peut compter jusqu’à trois dont la dépouille gît sous le monument des Martyrs aux Brotteaux.

Plus tard, un autre Dubost est parmi les combattants dans les insurrections ouvrières contre Louis-Philippe et pendant quelques heures il trône à l’Hôtel de Ville, comme Préfet, élu par les insurgés momentanément victorieux. Je l’ai entendu plus d’une fois raconter, chez mon père, les péripéties de cette extraordinaire journée de grandeur sans lendemain.

De nos jours, un Dubost lointainement apparenté aux précédents et plus favorisé du destin, est quelque part Président d’un Sénat.

Mais, en plus grand nombre qu’en la politique, surgissent les Dubost dans le domaine de l’invention. On en trouve toute une pléiade parmi les inventeurs Lyonnais,

Dans les registres de l’Académie Royale de France, à la date du 29 Avril 1741, on lit que "un nouveau système de moulins à vent, dont le modèle établi sur une terrasse de l’Hôtel des Invalides, est présenté par Messieurs Jean-Claude et Claude-François Du Bost frères, de Lyon, a été examiné et approuvé par ladite Académie".

Les mêmes présentent encore à l’Académie de Paris, un système nouveau de moulins à eau, qui reçoit, également, l’approbation des Académiciens.

Est moins heureux, l’un de ces infatigables inventeurs, lorsqu’il présente, à la date du 1er Août 1743, un Mémoire contenant la description d’un moulin à batteau (sic) que 1’auteur se propose d’employer sur les grandes rivières, sans y pratiquer aucune digue et sans embarrasser le courant. Après examen, l’Académie de Paris conclut que "quoique la manière dont la roue est appliquée à ces moulins soit neuve, cependant elle ne croit pas la construction assez solide ni assez sûre pour en attendre tout l’avantage que l’auteur se propose d’en tirer".

Point infaillibles les Académies ; celle de Paris venait de méconnaître la plus importante et la plus pratique des inventions de Claude France Dubost, bourgeois de Lyon.

Plus avisée, mais jugeant, il est vrai, non d’après un Mémoire, mais d’après un modèle établi sur le Rhône, et selon le rapport d’une Commission composée de MM . De l’Orne, Bordes et l’Abbé de Valernod, l’Académie des Beaux Arts de Lyon reconnaît-que "  le moulin à bled sur un seul bateau à roue flottante en poupe, de l’invention de sieur Claude François Dubost présente des avantages, et d’abord celui de donner plus de large à la navigation".

Avant cette invention de Dubost, utilisée dès 1745, les moulins du Rhône étaient établis sur deux bateaux parallèles, 1’arbre de la roue portant à chaque extrémité sur chacun des bateaux. On conçoit quelle place cela tenait sur le fleuve et combien la navigation se trouvait obstruée ; aussi le système nouveau fut-il généralement adopté.

Encore de nos jours, tout Lyonnais a pu voir sur le Rhône les nombreux moulins du système inventé par ce Dubost, si fécond inventeur. Sans être enrichi, il fut pourtant un peu récompensé ; le roi lui accorda une modeste pension.

Quelques années ensuite, toujours le même Dubost fut médaillé par 1’Académie de Lyon pour un mémoire sur un nouveau procédé de touage sur les fleuves et rivières. Puis un autre de ses Mémoires sur le moyen de purifier et de renouveler l’air dans les prisons et les hôpitaux obtint, également, le suffrage des Académiciens lyonnais.

Un Dubost – Jean-Louis – parent des Dubost victimes de la Révolution, comme des Dubost inventeurs, survivant, lui, en le dix-neuvième siècle, était de sa profession architecte, et architecte riche, recherché de la noblesse et de la plus haute bourgeoisie ; c’est-à-dire qu’il ne manquait pas d’occupation. Toutefois, il pendait, ainsi que tant des siens, vers les inventions, prenant sur ses  heures, quoique fort affairé en architecture.

Il inventa d’abord un genre de cloche à plongeur pour la construction des ponts. Puis la navigation à vapeur débutant sur la Saône, le voilà qui émet des conceptions théoriques à ce sujet. Ses  conceptions ne sont point vraiment du premier venu et sont au moins fort originales. En voici un spécimen, d’où parait surgir l’embryon de l’hélice avant la découverte par Sauvage  :

" J’ai grossièrement plié circulairement un morceau de papier. J’y ai tracé des lignes obliques du 10èmeécarte l’eau du bateau qu’elle porte ; dès lors, l’eau en avant de la proue sur la largeur du bateau ne subit plus autant de pression et doit tendre à s’échapper pour remplacer celle sur laquelle elle s’appuyait de côté, que le mouvement rapide de la roue force à se jeter hors les flancs du bateau. L’inclination pour chaque roue est différente, ainsi que les bras d’un nageur agissent en sens contraire. Il serait singulier que l’obliquité des aubes sur la direction de l’axe dut être dans la même proportion de l’obliquité de l’axe de la terre sur le plan de son orbite. "

Je t’en dis assez, mon Cher Neveu, pour que tu me conçoives,

Lyon, le 7 Avril 1828.

Le neveu auquel s’adressait l’architecte, c’était Basile Dubost, encore un inventeur.

Celui-ci après plusieurs avatars dans l’épicerie, la régie d’immeuble et la banque, vers 1825, s’improvisa soudainement ingénieur, avec le plus grand succès ; on se disputait ses  innovations et ses plans à prix d’or particulièrement pour la construction des "machines à feu" et des bateaux à vapeur.

Dès avant 1827, il est associé avec M. Perret, le futur propriétaire des mines de Chessy et de Sain-Bel, pour exploiter la navigation à vapeur sur la Saône. Basile Dubost fournit les idées, Perret l’argent. Les associés lancent les premiers bateaux, les Abeilles, les Mouches de l’époque.

Un peu plus tard, Basile Dubost s’improvisa chimiste, comme il s’était improvisé ingénieur. Les mines de Chessy et de Sain-Bel sont à vendre ? Le prix demandé dépasse un million. Perret a des velléités d’acheter, mais il hésite, il marchande. Dubost écrit lettre sur lettre, rapport sur rapport : il n’y a pas à balancer dit-il, je me fais fort de tirer, rien que des déblais accumulés en dehors de la mine et considérés comme sans valeur, pour plus de douze cent mille francs d’acide sulfurique au moyen des chambres de plomb.

Perret achète ; Dubost applique son système de traitement des pyrites et, dès lors, les millions pleuvent dans l’escarcelle de Perret. Dubost doit en retirer sa large part, et naturellement alors, se brouille avec Perret. Par acte notarié chez Coste il est faiblement dédommagé.

Libre, Dubost va finir ses jours à Marseille, inventant toujours pour autrui, entre autre, pour une exploitation de soude de l’étang de Berre.

Avant de quitter Lyon, il avait soumis à l’autorité municipale, un projet d’élévation des eaux du Rhône à la Croix-Rousse, projet qui fut exécuté un demi siècle plus tard, par d’autres que lui.

Petit chef d’atelier de Tissage à Paris, c’est aussi un Dubost originaire de Lyon, qui fit cette invention mémorable, autant que futile, il est vrai, du tissage du crin pour la fabrication de la crinoline, qui devait arrondir, si grotesquement et pendant tant d’années, les formes les moins opulentes des dames de la cour de Napoléon III, et même de tant d’autres honnêtes dames de France et de Navarre.

Je pourrais allonger encore 1’énumération de cette pléiade d’inventeurs, tous appartenant à la famille des Dubost, et dont, par sa mère, procédait Barthelemy Thimonnier pour le génie inventif ; mais revenons à ce dernier et plus populaire inventeur.

Pour son pays et pour lui-même, il a eu la chance de ne point laisser ses os sur les champs de bataille de 1813. Rentré au foyer, il s’établit bientôt, se marie, et ne tarde pas à se remettre à la recherche de l’impossible, le mouvement perpétuel. Barthelemy Thimonnier abandonne enfin cette spéculation d’idée saugrenue, et tourne ses facultés vers l’invention de la machine à coudre. Inutile de refaire l’historique de cette invention, qui a été faite plusieurs fois ; mais je rapporterai quelques anecdotes qui s’y rattachent. Ainsi, dans le feu de ses  recherches, l’inventeur négligeait parfois d’aller diner, disant : bah ! je me rattraperai au souper.

Presque chaque soir, il croyait être sur la bonne voie de la découverte. Demain j’aurai trouvé, affirmait-il, et alors je serai millionnaire, en attendant je peux bien subir quelques privations.

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Enfin, il trouva. La fortune ne vint pas, néanmoins, au contraire et certainement s’il n’eut été absorbé dans son invention d’abord, et ensuite par de vaines tentatives d’en tirer un profit sérieux, Barthelemy Thimonnier, artisan laborieux, rangé, sobre, eut certainement vécu dans l’aisance, rien que de son métier de tailleur.

À certains moments, il se trouva tout à fait à bout de ressources. Ainsi, il confessait à mon père, son cousin germain, que dans son Odyssée à Paris, il avait dû, pendant le voyage, se faire bateleur ; d’abord, il essaya de vivre en faisant fonctionner sa machine à coudre et quêtant ensuite pour se procurer un morceau de pain et un gîte à chaque étape ; mais la machine n’éveillait guère la curiosité publique, elle ne faisait pas recette ; alors le pauvre inventeur avait confectionné une demi douzaine de marionnettes avec des chiffons, et les faisant danser, suspendues à une corde, il avait par ce spectacle de bateleur, recueilli quelques sous, tout juste pour ne pas succomber avant le retour au pays.

Quand il arriva à Barthelemy Thimonnier d’encaisser enfin une dizaine de mille francs pour prix de son invention, il crut tenir le pactole ; et le bon homme était de caractère si généreux, qu’il devint prodigue avec les siens si longtemps réduits à la portion congrue, par sa faute, par son génie hélas ! Il étendit même ses  largesses à la plupart de ses  parents, même éloignés, leur distribuant souvenirs et bijoux. J’en ai tenus de cette provenance, achetés à l’exposition de Londres. Le pactole tarit rapidement avec tant de générosité.

D’autres inventions ou tentatives d’inventions ne réussirent pas davantage à l’inventeur de la machine à coudre.

Ainsi, il découvre le moyen de souder le cuivre à froid, il s’en sert secrètement pour  son compte, mais faute de ressources, sans doute, ne prend pas de brevet, n’écrit pas même un mémoire descriptif de cette invention, qui pourrait être si précieusement utilisée, et dont il emportera le secret dans la tombe.

Il découvre un métier à broder ; du moins il en combine les éléments, en expose à des tiers la théorie pour trouver les fonds nécessaires à la construction de cette brodeuse mécanique, mais tandis qu’il attend Mécène, un autre constructeur le devance et prend le brevet d’une brodeuse identique.

Avant l’année 1840, Barthelemy Thimonnier, chez un épicier de la Vieille rue de la Barre à Lyon, M. Pelletier, son compatriote, allié à Pelletier le député socialiste, travaille mystérieusement enfermé en une loge, au fond d’une cour N° 12. Ce qu’il cherche, c’est le vélocipède mu par la pédale. S’il trouve, Pelletier fournira les fonds pour la construction.

Qu’advint-il de la recherche ? Je ne saurais préciser mais, je puis assurer que, d’après la tradition dans la famille, l’inventeur de la machine à coudre avait eu, lui aussi, la première idée du vélo actionné par pédale.

Il est connu aussi que sur la route de Lyon à Lentilly, il expérimenta, avant 1848, un tricycle de sa construction.

Et qu’à Panissières, sur la route de Feurs, il expérimenta un engin bizarre se rapprochant toutefois du bicycle, qui fonctionna assez bien pendant une centaine.de mètres, mais tout à coup se détraqua, de sorte que son inventeur fit une chute dans laquelle il faillit s’abimer ; heureusement, il n’eut rien de cassé que son engin. La foule des spectateurs de l’expérience rit naturellement beaucoup et au retour à Panissières, chacun racontait que Thimonnier, le fou, avait failli se briser les os.

Pour le vélo, comme pour la brodeuse mécanique, l’inventeur de la machine à coudre n’arriva point beau premier.

Si les déboires et même les outrages ne manquèrent point à Barthelemy Thimonnier dans les plus actives années de son existence, sa vieillesse fut un peu plus tranquille. Il avait pris son parti de tous ses songes envolés ; il se bornait à demander sa subsistance au simple travail matériel. Plus d’idéales conceptions !

Ce n’est pourtant point de son aiguille de tailleur qu’il tire alors la plus grande ressource ; dans une de ses  lettres, je lis qu’il fabriquait quelques petites machines à coudre qui se vendaient à Lyon ; mais qu’il fabriquait et vendait plus facilement, surtout, des navettes qu’il avait perfectionnées. Il enregistre triomphalement dans une lettre à son fils : " J’ai fabriqué plus de trois cents navettes cette année;  j’espère arriver à six cents l’année prochaine ".

Tout cela était loin de la fortune pourtant. Mais vrai philosophe Barthelemy Thimonnier disait à son frère, petit négociant en soieries, à la Grand Côte à Lyon, qui me l’a souvent répété : " Je ne me trouve point malheureux ; je ne me plains pas ; il me faut si peu de chose : une soupe pour vivre, et un petit réduit pour travailler à mon aise. J’ai tout cela à Amplepuis. "

L’inventeur de la machine à coudre mourut sans éprouver la satisfaction suprême d’avoir vu ses descendants enrichis par son invention, comme ils l’ont été depuis, du fait de la renommée posthume de leur père, autant que de leurs aptitudes. Au contraire, il avait eu la rancœur de voir mourir un de ses  fils, dans la gêne, à l’hôpital. Celui-là avait des velléités d’inventer et débutait par l’impossible, ainsi que son père, qui lui mandait à ce propos : " Ne cherche pas le mouvement perpétuel, on ne peut le trouver ; je l’ai cherché et j’ai failli y laisser ma raison ; prends garde, en le cherchant de mourir de faim ".

On n’imagine pas délaissement plus absolu que celui dans lequel succomba Barthelemy Thimonnier, si célèbre aujourd’hui. Combien, qui le glorifient depuis sa mort, ne lui auraient point tendu la main de son vivant.

Quelque notable personnage rendra hommage à l’inventeur de la machine à coudre, le jour de l’érection du bronze qui lui est consacré ; à sa mort, l’inventeur n’eut d’autre oraison funèbre que celle que je retrouve dans une lettre adressée par sa veuve à ses enfants dispersés par la nécessité, loin du toit paternel : " Mes chers enfants, votre père vient de mourir. Le pauvre cher homme, il s’est éteint ; il avait tant peiné, tant travaillé ".

Dans sa simplicité, l’oraison en valait bien une autre.

On peut y ajouter que malgré tous les mécomptes, toutes les déconvenues, même les privations, les misères de son existence, Barthelemy Thimonnier n’eut jamais un mot d’amertume, de haine, de malédiction contre autrui, contre la Société, qui fit si peu pour lui, quoiqu’il eut tant fait pour elle, en la dotant de sa précieuse invention, dont, tout entier, l’univers civilisé est arrivé à se servir.

 Ah ! vraiment, ce n’était pas seulement un inventeur de génie que celui de la machine à coudre, que cet artisan sobre, laborieux et débonnaire, c’était aussi une âme haute.

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Pierre  VALIN