La bataille de L’Arbresle
Résumé
En 1939, la guerre éclata entre une Allemagne expansionniste et surarmée et une France mal préparée à ce nouvel affrontement militaire. L’invasion allemande est foudroyante. Paris est pris le 14 juin 1940 et l’ennemi se présente dans notre région le 19 juin. Une fragile ligne de défense est mise en place à l’Ouest et au Nord de Lyon.
A l’Arbresle ce sera le 2ème bataillon du 25ème Régiment des Tirailleurs Sénégalais qui sera chargé de cette mission impossible. Il en sera de même à Chasselay sur la RN6 pour le 1er bataillon. La journée du 19 juin 1940, et celle du lendemain 20 juin, resteront dans l’histoire de l’ArbresIe et de sa région des dates mémorables car elles furent tragiques.
L’adversaire
Quel adversaire va se présenter ? Il est redoutable car il ne s’agit pas d’une unité classique. C’est la division «Totenkopf» «Tête de Mort», une unité de la Waffen S.S. dont le comportement est jugé inadmissible par beaucoup d’officiers allemands.
Après la Pologne et la Belgique, la Panzer Division SS Totenkopf est engagée dans l’invasion de la France, sous le commandement de Théodor Eicke (qui fut avant l’un des responsables de la création et de l’organisation des camps de concentration. Comme en Pologne, pendant la campagne de France, Eicke et sa division se distinguent par leur brutalité sans bornes et leurs crimes de guerre. (Théodor Eicke qui fut qualifié par son propre supérieur de « boucher). Leur descente vers le sud est jalonnée d’exécutions sommaires :
Le 22 mai 1940, les SS de la Totenkopf incendient des fermes et fusillent des civils à Hermaville,
Le 27 mai 1940, la Division Totenkopf assassine une centaine de prisonniers britanniques au Paradis. Le 20 juin 1940, ce sera le massacre des soldats Sénégalais et Marocains qui s’étaient rendus, à Chasselay par des mitrailleuses et pour certains écrasés par les chars d’assaut.
Organisation de la défense à l’Arbresle
Trois noyaux de tirailleurs se constituèrent. Le premier s’était embusqué près du cimetière, à la ferme Valois, le second près d’Eveux aux Rompières, à la ferme Collomb-Vially, et le dernier aux abords du coteau du Brûlé.
Les tirailleurs creusent des tranchées et des trous individuels, et à mi-chemin de la montée du cimetière, organisent un barrage de troncs d’arbres tout en camouflant leurs mitrailleuses. L’emplacement choisi est remarquable : il commande les vallées de la Brévenne et de la Turdine tout en dominant la ville et ses voies d’accès.
Le poste de commandement du Capitaine Clément était établi au Grand Chemin, à la ferme Delorme.
Ils possédaient comme matériel de combat quelques mitrailleuses, deux canons de 25 et une dotation réglementaire en munitions permettant 5 minutes de tir. Trois caisses de cartouches arriveront plus tard. Ces deux pièces qui sont toute l’artillerie du détachement seront sauvées au moment de la retraite.
Le dispositif comprend à l’extrême droite, vers le cimetière de l’ArbresIe, une section commandée par le Lieutenant Biabaud. Les tirailleurs installés dans la ferme Valois sont placés sous le commandement du Lieutenant Debaux.
Vers 15h15, la gendarmerie avise le Capitaine Clément qu’un corps motorisé et blindé ennemi arrive par Pontcharra. Devant cette précision, tous pensent que les Allemands vont arriver par la nationale 7. Cette information se révélera inexacte.
L’aspirant Ucciani témoigne : « Le commandant du centre de résistance me fit installer à des emplacements reconnus quelques instant avant par le Colonel, le Chef de Bataillon Dumont, le Lieutenant Thenot et lui, emplacements qui me permettaient de remplir les missions reçues :
1°) Interdire le pont de la Brévenne à tout engin blindé.
2°) Défense contre les engins blindés sur les routes de Saint Germain sur l’ArbresIe – Nuelles.
Mes deux pièces étaient incorporées chacune dans un point d’appui (pour leur protection) mais restant sous mes ordres »
L’après-midi du 18 juin fut employée à organiser les emplacements de batteries et à les camoufler. Vers 15 heures, le Capitaine réunit tous les chefs de section pour leur lire et commenter l’ordre de défense du Commandant Dumont, Commandant le 2ème Bataillon. La mission des canons de 25 était : défense contre les engins blindés.
Le 19 juin à 8 heures, le compte-rendu d’installation des pièces fut envoyé au Capitaine Clément et les consignes de tir établies. A 17 heures, me parviennent trois caisses de cartouches de 25 mm. » A l’angle du chemin du cimetière, dans l’abreuvoir de la ferme Valois, un sergent aidé de l’un de ses soldats, a installé une mitrailleuse qui tirera jusqu’à la dernière minute. Au moment où les Allemands arriveront sur le plateau, ces deux hommes parviendront à s’échapper et à sauver leur mitrailleuse, et avec cinquante kilos sur le dos, Ils feront une longue route à pied avant de parvenir au lieu de rassemblement.
A trois cents mètres plus haut que la ferme Valois, le lieutenant Chastaing, avec un sergent, un caporal et douze hommes, organise sa position et creuse des tranchées près de la maison Giroudon. Des fusils-mitrailleurs et une mitrailleuse sont mis en position dans le jardin. Dans L’Arbresle même, tous les barrages édifiés ces derniers jours ont été ouverts, sauf celui du Pont de la Madeleine qui enjambe la Brévenne.
A l’ArbresIe, la situation se présente ainsi dans la ville : pas de soldat, les troupes françaises l’ont quittée depuis la veille au soir afin d’éviter un pilonnage des habitants.
L’approche ennemie
Le mercredi 19 juin, vers 16 heures 30, la division S. S. « Totenkopf » arrive à Tarare, venant d’Amplepuis, bousculant les quelques résistances organisées par le 131ème régiment d’infanterie de St Etienne. Si leur avance fut rapide jusqu’à la sortie de Tarare, les Allemands tombèrent dans une embuscade, perdant dix hommes dont un capitaine. L’effet de surprise passée, l’ennemi renforça ses effectifs en artillerie légère et matériel blindé et arriva dans la soirée à Pontcharra où quelques soldats français du 131ème d’infanterie opposaient une fragile résistance vite anéantie dans un combat brutal où un caporal trouva une mort héroïque. C’est en fin de journée, vers 18 heures que s’engage le premier combat avec les éléments du 2ème Bataillon du 25 ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais.
C’est par Saint-Germain que les Allemands descendront sur L’Arbresle.
Début des combats
Ucciani constate : « La colonne motorisée ennemie, composée de treize side-cars, deux autos blindées, et de canons tractés, fit son apparition sur la route de St Germain à deux cents mètres du carrefour des routes St Germain – Nuelles, une rangée d’arbres réduisant l’horizon visible. »
A 18 h 05 : Un motocycliste allemand descend seul à vive allure la route de Saint-Gerrnain. Il pénètre en ville, traverse le pont de la Turdine, et quelques mètres plus loin, trouve un soldat français sans armes. Il remonte en vitesse alerter ses camarades. Cette fin d’après midi marque le début de la bataille.
Peu après, descendent en trombe des motos et des side-cars transportant environ 150 allemands puis de l’Infanterie dans de petites autos blindées contenant chacune 5 soldats.
Elles pénètrent dans la ville jusqu’à la place de la République. Deux motocyclistes s’en détachent et descendent la rue Centrale en éclaireurs. Le premier, prenant la rue de Bordeaux. ira jusqu’au barrage ouvert près du pont du chemin de fer. Le second motocycliste continue de descendre la rue Centrale et parvient jusqu’au barrage du pont de la Madeleine où il essuie deux coups de feu de la défense – ce sont les premiers tirs – . II remonte jusqu’à la place Carnot où II rejoint son camarade revenant. Ils retournent place de la République. Une minute après, laissant leurs véhicules sur la place, les Allemands descendent la rue Centrale à pied, en colonne par un, sur les trottoirs, mitraillettes en mains braquées sur les rez-de-chaussée, pendant qu’au milieu de la rue une autre colonne surveille chaque fenêtre. Après la place Carnot, arrivés dans l’axe du tir de la défense. Ils se dissimulent dans chaque encoignure de porte et font le coup de feu en direction de la maison Vially. Une partie de la troupe qui descendait la route de Saint-Germain a été arrêtée net au bas de la montée par le tir des deux canons de vingt-cinq qui balayait le pont de la Turdine et les abords de la rue de Paris. Des mitrailleuses sont installées à l’intersection des routes de Saint-Germain et de Nuelles et à proximité. Puis, les Allemands gagneront la terrasse du château où ils installeront une mitrailleuse dans l’angle est, face au Cornu. La mitrailleuse du château tirera par intermittence jusqu’à 23 heures. De ce magnifique belvédère les allemands embrasseront une bonne partie des positions de la défense française. Un duel d’artillerie s’engagea entre les forces en présence, il durera environ une heure et demie.
Le tir des nôtres parait très précis : il a lieu avec des mitrailleuses et les deux canons de 25 millimètres.
Cependant les premiers éléments entrés dans L’Arbresle organisent leur pénétration et prennent des précautions pour leur sûreté, ne sachant pas exactement si des soldats ne sont pas cachés dans la ville. Ils visitent les petites rues, mitraillettes et revolvers en mains, et placent des mitrailleuses un peu partout, mais surtout à l’intersection de chaque voie, sur les places et même dans un magasin à l’angle de la rue Colonel Prévost. Des positions d’attaque sont choisies. De leurs positions dominantes, avec le tir de leurs mitrailleuses, les nôtres continuent de commander l’accès aux ponts ainsi qu’à certaines rues.
L’aspirant Ucciani écrit dans son rapport : « Le F.M. et les mitrailleuses qui se trouvaient à ma droite ouvrirent le feu. Ordre fut donné au Caporal-chef Gayral de commencer le feu, mais par la suite d’une difficulté d’introduction de cartouches, je dus sauter le mur qui me sépare de la pièce et remplacer ce gradé dans ses fonctions de tireur. Pendant ce temps, la pièce Augustin avait ouvert le feu et un side-car qui roulait entre deux voitures blindées était démoli. Les canons tractés arrêtés contre un immeuble situé à droite de la route, constituant un objectif fixe, reçurent plusieurs projectiles de 25. Les Allemands abandonnant leurs véhicules à l’abri de nos vues, s’infiltrent dans les rues de l’ArbresIe et une dizaine parvinrent au pont de la Brévenne. Les mitrailleuses de l’Adjudant Brusc ouvrirent le feu. D’autres éléments allemands utilisant des mitraillettes ouvrirent le feu sur la ferme qui se trouvait à deux cents mètres à l’ouest du cimetière de l’ArbresIe où se trouvait installé un groupe de F.M. qui se trouvait à ma droite celui-ci ne tirant plus, je voulus me rendre compte de ce qui se passait. J’ai trouvé tous les tirailleurs du groupe dans leurs trous. Ils paraissaient désorientés. Le Sous-lieutenant Dubault qui dirigeait le tir avait été blessé par une balle venant en ricochet, ainsi que le tireur. Le F.M. avait l’œilleton emporté et était inutilisable. Le Sous-lieutenant et le tireur furent emportés à l’intérieur de la ferme et soignés par le soldat Janin (agent de transmission de la pièce Horvais) »
Le tir de notre défense est très précis grâce à son emplacement. Des mitrailleuses et les deux canons de 25 m/m tirant sans arrêt. Malheureusement, le Lieutenant Debaux sera grièvement blessé à la tête. Après avoir été soigné à la ferme Valois, un de ses hommes, un jeune tirailleur sénégalais, le transportera sur ses épaules au sommet de la colline, jusqu’au hameau du Poteau. Ce même soldat transportera encore un autre blessé et reviendra ensuite pour récupérer son fusil-mitrailleur. Quant au Lieutenant Debaux, il sera évacué sur l’hôpital de Saint Symphorien sur Coise où il décédera quelques jours plus tard.
De leur position dominante, nos soldats continuent de commander l’accès des ponts ainsi que certaines rues de la ville. Les Allemands fouillent les maisons, d’autres se préparent à monter à l’assaut de la colline, cherchant dans la demi obscurité du jour qui tombe, à repérer par la lueur des tirs, l’emplacement de nos défenseurs.
Mercredi 19 juin, 19 h 30
Ucciani : « A 19 heures 30, un bruit de moteur nous mis en alerte et la pièce Augustin entra en action contre un side-car et une auto de tourisme qui furent démolis. Des rafales d’armes automatiques nous clouèrent au sol, cela dura près d’un quart d’heure puis se fait le calme.
Repassant derrière le mur, j’ouvris le feu avec un mousqueton sur tous les isolés qui circulaient sur la crête nord de L’Arbresle. »
Les Allemands, voyant que l’avance ne peut se réaliser, font appel à des renforts d’infanterie et à de l’artillerie demandée au poste de commandement de Saint-Vérand. Bientôt une pièce de 105 millimètres est Installée sur la route de Saint-Germain, face à l’entrée du Pensionnat (école Ste Thérèse). D’autres pièces sont mises en position, près du chemin des Molières. Devant le pensionnat, les fils électriques sont coupés pour installer le téléphone de campagne. L’état-major occupe la maison Zaccarie, au sommet de la route de Saint-Germain.
Ordre de repli
A 21 h 30 l’Etat-major Lyonnais donne l’ordre au 25 ème R.T.S. de se replier. Cet ordre ne sera pas reçu et les opérations vont se poursuivre.
Aux environs de 21 heures 30, trois compagnies d’infanterie allemandes s’infiltrent dans l’Arbresle. Ils prennent position place de la Liberté., Et le tir se déclenche de suite. La bataille faisait toujours rage. Aux éclats des obus et aux crépitements des mitraillettes venait se joindre le grondement de la foudre, et aux lueurs des fusées éclairantes, celles métalliques de l’orage.
Ucciani : « A environ 21 heures, je reçu l’ordre de repli du Capitaine Clément qui prévoyait un repli des sections de réserve pour 22 h et celui des sections du 1er échelon pour 23 heures. Je transmis l’ordre à l’Adjudant Brusc qui avait installé son P.C. derrière sa pièce.
Des mortiers et un canon de 77 installés sur les hauteurs de L’ArbresIe ouvrirent le feu sur nos arrières (P.C. du capitaine et sections de réserve), puis sur les pièces de 25, un obus explosa à une vingtaine de mètres en avant de la pièce Horvais. A la tombée de la nuit, les lueurs des armes lourdes ennemies étaient visibles, j’ai ouvert le feu sur trois d’entre-elles, ainsi que sur l’observatoire installé sur une tour du village. »
Bientôt les Allemands abordent la colline où s’est retranchée la défense française. Le tir de leur artillerie s’élève et bombarde des objectifs plus haut sur Eveux et Fleurieux. Plus d’une centaine d’obus tomberont sur la Tourette et son parc. De nombreux habitants de L’Arbresle et d’Eveux étaient allés chercher refuge au château.
Il est 21 heures 30 lorsque les Allemands traversent la gare, Une patrouille à pied se divise en deux se dirigeant vers les chemins des Rompières et d’Eveux. Puis c’est une seconde patrouille et enfin, un quart d’heure après, un groupe important se déploie en tirailleurs. Par la suite d’autres renforts continuent à arriver.
Mercredi 19 juin 22 h. Les soldats commencent à se replier.
Mercredi 19 juin à 23 h, le capitaine Clément, quitte à son tour la ferme Delorme avec son groupe. Nos hommes ont ordre de se replier par le Poteau, Mosouvre, le Morillon, Pollionnay, en direction d’Yzeron. Mais en cette nuit du 19 juin, le versant des Rompières et sur le territoire de la commune d’Eveux, à cinq minutes de la gare de L’ArbresIe, se trouvent encore des hommes qui occupent les maisons Collomb Vially et la ferme Vially. Ceux-ci ne se replient pas et semblent ne pas avoir été touchés par l’ordre de repli. Cette dernière supposition semble la plus vraisemblable et l’aboutissement en sera l’épisode tragique, qui suivra.
Pendant plusieurs jours on les verra se cacher dans les boqueteaux de la région. Certains se retirèrent vers Lentilly et Fleurieux et tentèrent de résister encore quelques heures, mais ils durent aussi se replier à leur tour dans les bois d’alentour. Un certain nombre, découverts, tomberont sous les balles ennemies et un fort contingent sera fait prisonnier dans les bois de Saint-Pierre-la-Palud. Bientôt les Allemands vont occuper la ferme Valois,
Ce soir-là, les Allemands ne semblent pas avoir dépassé la ligne Ferme Valois-village d’Eveux. Mais, dans la nuit, à 1 heure du matin, ils envahissent la ferme Guilloud des Rompières et la visiteront de fond en comble, au grand effroi des civils réfugiés dans les caves, auxquels il ne sera fait aucun mal.
Toute la nuit les balles pleuvent sur les coteaux et sur les Rompières où nos soldats sont encerclés. Passant par le grand chemin d’Eveux, les Allemands se glissent entre les tirailleurs, couchés le long d’un petit bois, dans le pré Demeure, où leurs traces resteront parfaitement visibles dans les foins non coupés.
On se bat dans la maison détériorée par les obus et les grenades. Un certain nombre des nôtres trouvera la mort soit vers la ferme Vially, soit un peu plus haut. Quant au propriétaire de la ferme, Mr. Jean Vially, âgé de 71 ans, il sera découvert dans sa cave, la tête traversée d’une balle,
De bon matin, ce jeudi 20 juin. Une fumée s’élève, aperçue de loin ; la grange et l’écurie sont en feu. Dans la soirée ce sera la maison d’habitation qui brûlera. De cette ferme, sauf le bétail, rien ne sera sauvé.
Témoignage
Un jeune garçon, habitant non loin des Rompières à Eveux, raconte : « J’avais 10 ans et je regardais les soldats Sénégalais installés dans notre cour, les uns creusaient des tranchées, d’autres affûtaient leur « coupe-coupe » sur une vieille meule en pierre, certains nettoyaient leurs armes. Au loin, dans la direction de la vallée de la Turdine, on entendait des détonations.
Le sergent-chef du groupe de tirailleurs nous avait rassurés, nous ne risquions rien sur cette colline d’Eveux, en retrait de la route nationale. Ma mère préparait des casse-croûte pour ces soldats qui n’avaient reçu encore aucune nourriture. C’était la fin de la journée, les voisins s’étaient réfugiés au bourg, chez les amis, et sur le site de Rompières il ne restait que cinq habitants.
Soudain, une violente explosion secoua le quartier, un obus venait d’exploser. Le sergent cria à ses hommes : « Mettez-vous à l’abri, nous sommes repérés. »
Avec ma mère, mon frère adoptif et le sergent, nous nous sommes réfugiés dans une tranchée que les soldats avaient creusée. Les explosions s’intensifiaient, se rapprochaient. Cette attaque allemande n’était pas prévue, et lorsque la ferme Vially, toute proche, fut atteinte par un obus, le sergent dit à ma mère de rassembler quelques effets personnels car, dès la nuit tombée, ils nous accompagneraient à travers les champs pour que nous puissions nous abriter dans les sous-sols du château de la Tourette où de nombreux habitants avaient trouvé refuge.
Au petit matin, tous les regards étaient tournés vers les Rompières d’où se dégageait une épaisse fumée, puis ce fut l’attente, et au fil des heures nous apprenions l’incendie de la ferme Vially, l’assassinat du père Vially, la destruction en partie de la maison Vially-Collomb, et sur le terrain la macabre découverte de 13 corps de Sénégalais.
L‘aspirant Ucciani : « A 22 heures 30, seules les armes automatiques ennemies et les mitrailleuses du sergent Astolfi tiraient. N’ayant plus aucuns objectifs visibles j’ai donné l’ordre à mes deux chefs de pièces de préparer le repli. A 22 heures 45, j’ai donné l’ordre de départ pour profiter de la protection des S.M. et F.V. La pièce Horvais emprunta le chemin de l’ArbresIe au Poteau. La pièce Augustin, partie à travers champ, rejoignit la pièce Horvais au Poteau où nous fûmes rattrapés par le châssis transportant le Sous-lieutenant Dubault. A l’instant même, des rafales de mitraillettes nous clouèrent au sol. Le tirailleur Tiono Banzano, Mle 15499, se mit à crier en se tenant le ventre et se coucha. Il disait avoir été touché. Je fis arrêter le châssis et l’ai évacué.
Au carrefour du Poteau, le soldat Léze de la 5ème Compagnie nous aiguilla en direction de Mosouvre. Je lui ai demandé si le Capitaine Clément était loin. Il me répondit : II est chez le garde, la section du Lieutenant Morice vient de passer, vous ne tarderez pas à le rejoindre. Moi je reste ici pour aiguiller le restant de la compagnie.
A 23 heures (environ) je rejoignis la section du Lieutenant Morice pour la quitter deux heures après ».
Mais, ce ne sera qu’à 23 heures, que le Capitaine Clément, commandant la 3ème Compagnie du 25 ème R.T.S. quittera à son tour la ferme Delorme. Les obus et les balles pleuvent sur le coteau où bientôt les Allemands vont prendre pied et occuper à leur tour la ferme Valois.
Des civils tués
C’est la bataille, et pour les civils qui n’ont pu encore se réfugier dans les caves, ou du moins dans les maisons, le danger est grand. Quelques-uns échappent aux balles de justesse. D’autres, hélas, n’ont pas ce bonheur, et l’on déplore ainsi, en ces premières heures, la mort de plusieurs civils :
– Pierre-Alexis Héritier âgé de 81 ans, rentrant chez lui, est tué d’une balle, sur la route de Paris, à cent mètres du pont de la Turdine. Son corps ne pourra être relevé que le lendemain matin.
– La bonne du docteur Dusserre, mademoiselle Eugénie Philippon âgée de 30 ans, est dans la cuisine. Peu avant elle a refusé d’être évacuée. Elle ouvre la porte pour recevoir un blessé, puis la referme. Ensuite, postée dans sa cuisine, la fenêtre fermée mais le volet entr’ouvert, elle est frappée d’une balle tirée à travers la vitre. Transportée le lendemain à l’hôpital de Tarare ainsi qu’un ouvrier polonais, ils y décéderont tous les deux.
– Près de là, monsieur Claude Duret âgé de 77 ans, sera tué dans sa maison en bordure de la route de Saint-Germain, et sa mort annoncée à 23 heures à M. Zaccarie, maire de la commune.
– Jean-Louis Brun, âgé de 35 ans, au mépris de toute prudence, est sorti de son abri vers 23 heures, et a voulu circuler à bicyclette. Mais il ne va pas loin ; gravement atteint par le tir, II sera relevé par une patrouille et transporté dans l’allée d’une maison où il mourra après une longue agonie.
– Sur le plateau des Molières, les balles pleuvent pendant des heures. L’une d’elles frappera un jeune homme de dix-neuf ans, Marcel Compte qui, craignant d’être fait prisonnier, se sauvait dans la nuit avec un camarade, du côté du Musard.
Les pertes militaires
Marc Josserand racontera plus tard : « Partout étaient éparpillés des casques, des capotes, des musettes, des bidons, des souliers… Puis nous vîmes le premier Sénégalais, couché dans un carrefour, ayant toujours au cou son inutile gri-gri. Nous en vîmes d’autres, beaucoup d’autres dont le sang avait coulé sur le bitume … Nous les avions livrés au massacre comme des esclaves aux fauves.
Les blonds Aryens n’aimaient pas les noirs, d’autant moins que ces Africains s’étaient battus héroïquement, leur infligeant des pertes. Au surplus, ces prisonniers exténués qu’ils emmenaient vers quelque gare, ne marchaient pas assez vite à leur gré car, là-bas, dans leur pays ensoleillé qu’ils ne reverraient jamais, ils n’avaient pas été habitués aux godillots. Les traînards étaient donc les premières victimes, assommés à coups de crosse.
D’autres furent abattus sans raison, d’une manière systématique, par esprit de vengeance… Telles sont les images que mes yeux de sept ans ont enregistrées. C’était il y a longtemps, bien avant l’Europe ; nous étions alors encore tous des barbares… »
Certains sont tombés en combattant, mais beaucoup de tirailleurs sénégalais seront encore exécutés par les Allemands bien après le combat : au fort de la Duchère, dans les caves de la Préfecture, lors de ratissages dans les bois, au cours de leur transfert en colonnes de prisonniers vers la Part-Dieu et lors du long trajet à partir du 5 juillet 1940 depuis la Part-Dieu jusqu’au camp de Longvic-Dijon.
Cent vingt deux tués, 51 blessés, 1210 disparus qui doivent s’ajouter aux morts, soit un total de 1383 hommes ; ainsi s’établirait le bilan des pertes pour ces deux bataillons (I et II) du 25ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais ; selon le Lieutenant Mané, devenu commandant, le premier bataillon ne compta d’autres rescapés que trois officiers, 7 sous-officiers et 15 soldats. Si l’on tient compte que l’effectif total de ces 2 bataillons n’atteignait que 1800 hommes, cela constituerait l’un des plus tragiques épisodes de la campagne de France qui compta au total 92.000 morts.
Voici certains chiffres avancés – 25 ème R.T.S. – 1er et 2ème Bataillons :
– officiers : 4 tués, 4 blessés, 17 disparus ;
– sous-officiers européens : 4 tués, 4 blessés, 102 disparus ;
– sous-officiers indigènes : 2 tués, 2 blessés, 32 disparus ;
– hommes de troupe européens : 8 tués, 4 blessés, 204 disparus ;
– hommes de troupe indigènes : 104 tués, 37 blessés, 856 disparus.
Les corps d’environ 200 d’entre eux provenant de Chasselay et du secteur de l’ArbresIe ont pu être trouvés et seront regroupés longtemps après, à partir de 1942, au cimetière militaire de Chasselay, dit « Tata Sénégalais ».
La ville épargnée
L’Etat-Major allemand était basé aux Molières. Cette bataille d’ailleurs sera dénommée par le commandement allemand « la bataille des Molières » et c’est toujours de cette position élevée que l’artillerie appuiera l’attaque. Au matin du 20 juin, chacun était anxieux de connaître les conséquences du bombardement de la nuit. La plupart s’attendait à trouver L’Arbresle à moitié démolie et ce fut pour beaucoup une agréable surprise de trouver debout le clocher, le château, et les autres maisons, le tir des canons visant le massif du Cornu étant passé au-dessus.
Seule l’église fut touchée par un obus qui atteint le coté nord du clocher, et, depuis, on peut constater qu’un pierre manque à gauche de l’une des ogives.
La bataille était terminée et la vie reprenait, mais placée sous le régime de l’occupation. La tragédie avait été évitée. Dans la nuit le commandement allemand avait ordonné le bombardement de la ville par l’aviation. Mais, ayant acquis la certitude que la population locale n’avait pas pris part aux combats, la décision fut annulée.
En reconnaissance, une statue à la Madone fut érigée dans la montée du cimetière, entre la route et la voie ferrée. Elle y est toujours, non loin du monument érigé route Napoléon, à la mémoire des soldats tués au cours de la bataille.
Les SS poursuivent leur route
Dans la matinée du 20 juin, l’officier SS Lonholdt poursuit son avance vers le sud, vers Sourcieux et Sain-Bel. Plus à l’est progresse le groupe Kurtz. Les SS progressent à grande allure, comme leur a prescrit Theodor Eicke. En effet, à 11h00, l’état-major lui a posé laquestion suivante : « La division a-t-elle la possibilité de reprendre sa progression ? » Piqué au vif par cette interrogation qui sous-entend que la Totenkopf ne respecte pas le programme prévu, Eicke a aussitôt donné des directives demandant à ses unités d’atteindre la Méditerranée pour le lendemain soir !
Mais toute résistance n’est pas encore brisée et les intentions quelque peu utopiques de Theodor Eicke vont rester lettre morte. Tout commence pourtant bien pour les SS : vers midi, la section de Max Saalfrank s’empare des ponts sur l’Azergues, au sud de Chazay et près de Lozanne.
Les hommes de Kurtz approchent alors de Lentilly où le 2 ème Bataillon du 25 ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais du commandant Dumont s’est retranché. Tout se complique alors.
Les SS sont durement accrochés à 500 mètres de la localité et subissent des pertes importantes. D’autres éléments viennent alors en soutien des fantassins de Kurtz. Ils tentent de prendre Lentilly de flanc, mais ils sont également cloués sur place par les tirs précis des Sénégalais. Les Allemands font alors appel à leur artillerie au hameau des Mollières. Un Fieseler Storch vient survoler le terrain et, ainsi renseignés, les artilleurs SS ouvrent le feu avec efficacité.
Dans notre petite cité, la vie reprit dans la crainte, l’angoisse, le deuil, le rationnement, et le marché noir, Et cela devait durer jusqu’au 3 septembre 1944.
Retour sur la Bataille de L’Arbresle – 19 et 20 juin 1940
Notre sujet paru dans l’Arborosa 23 a suscité des réactions nombreuses. Parmi elles, le témoignage de Joannès Porte, dont l’épouse était jeune institutrice en juin 1940, à l’école Sainte Thérèse. Avec la directrice et ses collègues, elles ont été les premières à voir arriver les troupes allemandes et qui les ont vues installer leurs positions. Ce témoignage de première main a toute sa place ici en complément de l’article déjà cité
Ce mercredi 19 juin 1940, toutes les élèves de l’école Ste Thérèse sortent et rejoignent leurs familles. Peu après, la directrice, mademoiselle Larue à son tour se rend en ville pour informations sur les bruits qui se répandent à propos de l’arrivée des troupes allemandes par St Germain-sur-l’Arbresle. Elle effectue aussi ses courses, et se retrouve chez mademoiselle Hyte, commerçante qui la retient quand éclatent les premiers coups de feu dans les rues.
L’arrivée des troupes allemandes
A l’école, sont restées cinq ou six filles de 18 à 25 ans, institutrices ou stagiaires. Depuis les salles de classes elles voient arriver les motos et les véhicules, dont certains se répartissent dans les champs alentour pour préparer l’attaque de l’Arbresle. Tout d’abord, elles décident de se protéger et de se cacher dans un vieux bâtiment dans la cour de l’école. Voyant un groupe de soldats installer du matériel à quelques dizaines de mètres de l’école, elles décident finalement de partir et de se rendre chez monsieur Giraud, maire de St Germain.
Pour sortir par le portail face aux allemands, elles doivent à la queue-leu-leu, à quatre pattes rejoindre plus haut, vers l’hôpital, le chemin plus protégé, qu’elles emprunteront pour se rendre à la ferme Giraud. Le maire et son épouse reçoivent ce lot de filles, organisent ensemble un plan de dispersion en cas de menaces ; les unes sont affectées au grenier, les autres à la cave et chacune, furtivement, par les fenêtres et ouvertures, essaie de suivre le mouvement des soldats qui arrivent.
Les premiers tirs
Bientôt, les coups de feu, les tirs de mitrailleuses crépitent, les obus explosent de part et d’autre. Le duel est très violent et durera toute la journée et une bonne partie de la nuit, rehaussé dans son horreur par un orage dantesque avec éclairs, tonnerre et pluie diluvienne.
Au petit matin, après une nuit blanche, le spectacle est terrible avec encore des échanges de coups de feu, des ruines encore fumantes, et aux premiers échos des nouvelles hélas, l’annonce de morts, civils, militaires, amis, ennemis, quelle triste et immonde chose que la guerre.
Les filles de Ste Thérèse qui n’ont pu rejoindre leurs familles, ont été hébergées pendant plusieurs jours en attendant que les troupes allemandes évacuent les environs en avançant du coté de Lyon.
Un des jours suivant la bataille de l’Arbresle, de leurs observatoires, les filles voient venir du coté de la ferme un groupe de soldats allemands ; vite elles rejoignent leurs caches respectives ; ne restent que les propriétaires qui reçoivent la visite. Les hommes difficilement, font savoir qu’ils recherchent quelques provisions de bouche, soit solides soit liquides.
Un œuf devenu dangereux
Deux hommes pendant que les autres discutaillent, voyant sous la remise des pondeuses sur le nid passent furtivement la main dans le nid pour récupérer quelques œufs frais et les gober aussitôt. Hélas, les pondeuses ne sont pas des pondeuses, mais des couveuses…et ils gobent les œufs couvés, quelle horreur ! Furieux et menaçant à la suite de cette méprise, le soldat dégaine son arme et met en joue le pauvre monsieur Giraud qui n’est pour rien dans cette aventure… Enfin les choses se calment et l’homme remet son arme dans l’étui, ouf !
Monsieur Giraud a dû longtemps se souvenir et mesurer cet instant qui démontre que parfois la vie tient à bien peu de choses…
Petit à petit la vie renaît à l’Arbresle où la terreur a régné, mais chacun se rend compte que l’on a frôlé la catastrophe. Les soldats allemands se retirent, les rues se dégagent, mais des marques persistent : ces façades criblées ici et là, ces tombes toutes fraîches, surmontées d’un casque bosselé et d’un petit drapeau tricolore vous arrachaient les tripes
A la place de la porte actuelle était un jardin où les Allemands avaient enterrés plusieurs de leurs soldats
Après le départ, des soldats de la batterie de la montée St Germain, la directrice et les institutrices reprenaient possession de l’école Ste Thérèse et des classes qui ont été visitées et très désordonnées ; quelques objets ont été récupérés par les visiteurs mais tout cela n’est pas grave et personne ne songe à en accuser quelqu’un.
Les filles institutrices reprennent leur classe les jours suivants malgré l’occupation allemande qui se poursuit dans la région arbresloise et lyonnaise
Bientôt s’établit l’occupation de la France, et la création de la célèbre ligne de démarcation qui partage notre pays en deux.
Une des enseignantes dont nous avons suivi les pérégrinations est originaire du Jura où passe cette fameuse ligne frontière ; peu tentée de subir les désagréments causés par cette limite, elle décide de ne pas rentrer chez elle et enseignera dans le Rhône, à St Clément les Places pendant toute la guerre. En 1944-45, alors qu’elle pensait avoir un poste à Lyon, on lui demanda d’assurer l’année à Bessenay ce qu’elle fera jusqu’en 1967
Entre temps elle devint mon épouse en 1951 ; c’est pourquoi je suis bien placé pour raconter ces faits que je tiens de bonne source.