La Révolution de 1789 à L’Arbresle
Résumé
Ce dossier fait appel pour une bonne part aux chroniques que le chanoine Picard écrivit à partir de fin 1934. Bien que ses récits de l’histoire locale comportent parfois quelques appréciations discutables, il reste une référence incontestable pour l’histoire de l’Arbresle et de l’Abbaye de Savigny
1789 : Les États Généraux
Où en est l’Arbresle, à l’approche de la période révolutionnaire ?
Les structures de l’Église sont encore toutes puissantes et l’Abbé de Savigny, souverain. Qu’on en juge d’après « l’Almanach lyonnais ». D’après celui-ci, l’Archiprêtré de l’Arbresle comprend encore 27 paroisses, dont 24 en Lyonnais, 3 en Beaujolais et 11 annexes.
L’Almanach de 1788 appelle l’Arbresle une « petite ville murée », sur les confins de l’ancienne baronnie de Savigny, de la sénéchaussée de Lyon.
L’Abbé de Savigny nomme à la cure de l’Arbresle. Pénitents du St Sacrement (les pénitents étaient des confréries, formées en général de laïcs, mises à la mode par Catherine de Médicis ; ils avaient leurs règles et leurs rites et apparaissaient au cours des cérémonies, vêtus d’aubes et de cagoules) – Recteur, M. Raymond – Vice recteur, M. Pignard fils – Notaires royaux : Després fils et Lacroix – Curé M. Soulier – Vicaire M. Gardey – Juge M. Bertholon – avocat à Lyon – Chirurgiens : MM. Sainclair père et fils.
L’Almanach de 1789 ajoute : l’Arbresle possède une brigade de maréchaussée. Le château sert de prison : geôlier, Paradis – maître des postes, le sieur Caquet.
L’Arbresle eut son député aux États Généraux. Il semble que cela se fit en deux étapes : d’abord, l’élection, à l’Arbresle de deux députés pour porter représentant la ville a une Assemblée qui se tint à Lyon.
Voici le texte du compte rendu de cette réunion, première étape vers les Etats Généraux : « Nomination par les Habitants de l’Arbresle en faveur de Claude LACROIX et Etienne PEILLON, le 1er mars 1789. «
« Aujourd’hui premier mars mil sept cent quatre vingt neuf, sur les deux heures de relevée, en assemblée convoquée au son de la cloche en la …….. sont comparu en l’église de la Madeleine sise au faubourg du dit nom et dépendant de la ville de l’Arbresle laquelle a été choisie pour le lieu de la convocation, attendu que l’auditoire de cette…… est trop peu spacieux et qu’il n’y a point d’hôtel de ville, par devant nous Claude LACROIX notaire royal réservé pour la dite ville de l’Arbresle et choisi pour présider la dite assemblée, attendu l’absence du juge des lieux Sieur Pierre PIGNARD suivi de la municipalité ; Dominique RAGUSARD, Jean François Augustin DALBEPIERRE, Etienne PEILLON, Guillaume SARRAZIN, Claude FAVROT, Claude ZACCHARIE, Jean PIQUET, Antoine VIZE, Jean Marie MIZILLIER, Benoît FORAY, Benoît GRILLET, Louis DUFOUR, Jean DUMAS, Claude GLIILLERMIN, François FERRAT, Claude BIATRIX, Clément POSADIN, François FAVRE, Claude MERLE, Jean François PIERRON, Joseph BALLOFET, Claude COLLET, Claude CHASSAGNE, Antoine VINCENT, Barthélemy BERTHOILON, François BRAZIER, Balthazar REVERDY, François CALLOT, Claude GUEYTON, Claude GIRAUD, Pierre CHARDON tous nés français, âgés……. d’entre eux de vingt cinq ans au moins compris dans les rôles d’imposition , habitants de cette ville de l’Arbresle composée de cent quatre vingt dix feux (foyers) lesquels pour obéir aux ordres de sa majesté porté par des lettres données aux…….. le 24 janvier 1789 pour la convocation à tenir des Etats généraux du royaume et satisfaire aux dispositions du règlement y joint ainsi qu’à l’ordonnance de Monsieur le Lieutenant général de la Sénéchaussée de Lyon dont ils nous ont déclaré avoir…… pour faire connaissance tant par la lecture qui doit en être faite que par la lecture et publication qui doit en être faite au prône de la messe paroissiale par M. GACHER remplissant les fonctions curiales attendues d’une indisposition du curé actuel le 22 février dernier et par la lecture et publication d’affiches pareillement faites le même jour au devant de la porte principale de l’église.
Ils nous ont déclaré qu’ils allaient d’abord s’occuper de la rédaction de leurs cahiers de doléances, plaintes et remontrances et les effets y ayant été requis, nous ont représenté lesdits cahiers qui ont été signés par ceux des dits habitants qui savent signer et après l’avoir coté de la première à la dernière page de leur paraffe (sic) « ne varietur » au bas.
Et de suite, tous les dits habitants après avoir purement délibéré sur le choix des députés qu’ils sont tenus de nommer en conformité des dites lettres du roi et des règlements qui les accompagnent. Et les voix ayant été par nous recueillies à la manière accoutumée, la pluralité des suffrages s’est portée en faveur premièrement du Sieur Etienne PEILLON, maître aubergiste en notre ville, secondement de nous, Claude LACROIX faisant les fonctions de président et avons accepté la dite commission et promis de nous acquitter de cette charge fidèlement.
Les dites nominations des députés ainsi faites, les dits habitants ont lu et approuvé sous la présidence du Sieur Peillon les cahiers de doléances afin de les porter à l’Assemblée qui se tiendra le quatorze du présent mois devant M. le Lieutenant Général en la ville de Lyon et nous ont donné tous pouvoirs à effet de les représenter à la dite assemblée, toutes les opérations prescrites par M. le Lieutenant Général, doté de pouvoirs généraux, mesures qui concourent à préserver le déficit de l’Etat, la réforme de l’administration d’établir des règles fixes et durables dans toutes les parties de l’administration et veiller à la prospérité du royaume, au bien de tous et de chacun des sujets de sa majesté.
Et de notre part, nous dits députés, nous sommes présentement chargés du cahier de doléances de la ville de l’Arbresle et avons promis de le porter à la dite assemblée et de nous conformer à tout ce qui est prescrit et ordonné par les dites lettres du roi du règlement et aussi des ordres sus datés, desquelles nomination des députés, remise des cahiers, pouvoirs et déclarations; nous avons à tous les susdits comparants donné autant et avoir signé avec eux avec ceux des habitants qui savent signer et avec eux par Etienne PEILLON, notre collègue comme député avec nous pour la dite ville, notre présent procès verbal ainsi que le duplicata que nous avons gardé en notre pouvoir et de celui du Sr Etienne Peillon. En notre sous-qualité pour constater nos pouvoirs et le présent sera déposé au commissariat de la municipalité de cette ville, attendu qu’il n’y a point d’archives faites…….de…… et Signatures… »
La deuxième étape eut lieu près d’un mois après. L’Assemblée des trois Ordres de la sénéchaussée de Lyon (c’était le cadre administratif d’alors ; le découpage actuel interviendra bientôt), se tint à Lyon aux Cordeliers. Le clergé se réunit dans la chapelle des Pénitents du Gonfalon, la noblesse dans la salle du Concert, le tiers-état dans l’église de saint Bonaventure.
Le 28 mars eut lieu l’élection des députés de campagne. Pelletier fut élu député pour I’Arbresle. Au mois d’avril, il partit pour Paris, vêtu du costume imposé : veste, et culotte de drap noir; bas noirs, manteau court, chapeau retroussé de trois côtés sans ganses ni boutons.
Le 5 mai 1789, c’est l’ouverture des Etats généraux. La longue mise en place des quelque 2 000 députés des trois ordres qui commence à 8 heures du matin, le discours du roi Louis XVI, ceux de ses ministres dont celui de Necker amènent la séance à ne s’achever qu’à 5 heures de l’après-midi.
Le 9 juillet 1789 Proclamation de la Constituante, issue des Etats Généraux. Le rêve des députés du tiers, « donner une Constitution à la France »,
Le rôle de Pelletier à l’Assemblée Constituante fut sans doute, comme celui de tant d’autres, à côté des coryphées en vue, un rôle effacé.
Plus tard, Pelletier ne fut pas renvoyé à l’Assemblée législative qui se réunit le 1er octobre 1791, ni à plus forte raison à la Convention qui condamna Louis XVI à la mort. Nos contrées furent représentées à l’Assemblée législative par M. Bernard Sage de l’Arbresle et par M. Duvand de Néronde. II ne votèrent pas la mort du roi.
Le 4 février 1790, devant l’Assemblée nationale réunie au grand complet, le roi Louis XVI jure solennellement fidélité à la Constitution qui est la première de l’histoire de la France.
Le 15 mars 1790 c’est le décret organisant le rachat des droits féodaux, et le 14 mai 1790, c’est la mise en vente des biens du clergé. Ils avaient été mis à la disposition de la nation le 2 novembre 1789 par un vote de l’Assemblée (508 contre 346). Les biens nationaux sont vendus en bloc et non fractionnés, ce qui les rend inaccessibles aux pauvres.
Ainsi, à l’Arbresle le château sera racheté par Me Lacroix, notaire et maire de l’Arbresle, ainsi que la maison du Champ d’asile et bien d’autres immeubles, par adjudication du 12 avril 1791.
Constitution civile du clergé
Le 12 juillet 1790, l’Assemblée vote la constitution civile du clergé, et exige de celui-ci un serment à la Constitution. Ceux qui se refuseront à prêter serment seront révoqués.
Il y eut un certain délai avant que cette mesure ne touche l’Arbresle. Ce n’est que le 6 mars 1791 que le procureur royal présenta au curé Soulier, dans l’église même, et en présence de la municipalité, l’instruction sur la Constitution civile du clergé.
Aux termes de cette loi, les évêques et les curés devaient être élus désormais par les collèges électoraux, dans la même forme que les fonctionnaires auxquels ils étaient assimilés. Une des conséquences fut que tous rapports du clergé français se trouvaient supprimés avec le Pape.
Les évêques élus devaient lui adresser seulement des « lettres de communion « , pour l’avertir de leur élection. C’était préparer un schisme. Les protestations des évêques, loin de désarmer l’assemblée nationale, la poussèrent à des mesures coercitives.
Un nouveau décret, en date du 27 novembre, enjoignait à tous les ecclésiastiques, fonctionnaires publics, de prêter le serment sous peine d’être considérés comme démissionnaires et perturbateurs de l’ordre, 130 évêques sur 134 et 46.000 prêtres refusèrent le serment. Quelques prêtres le prêtèrent avec des restrictions, qui le rendaient orthodoxe. Mais cette échappatoire fut fermée par un décret du 4 janvier 1791.
Les prêtres jureurs furent désignés officiellement sous le nom de prêtres constitutionnels ou assermentés. et les autres sous le nom de prêtres réfractaires ou insermentés.
M. Soulier, curé de l’Arbresle, refusa de prêter le serment, et dut s’éloigner de l’Arbresle. Dans la crainte de troubles on ne lui donna pas de successeur. Le vicaire assura pendant quelque temps le service paroissial.
La fête de la Fédération
Un an plus tôt, le peuple de Paris a pris la Bastille. Pour marquer ce premier anniversaire, le 14 juillet 1790, toutes les provinces ont envoyé à Paris des délégations de la garde nationale
Un texte de l’époque concerne la nomination des électeurs arbreslois, désignés pour se rendre à cette fête de la Fédération.
Il y est mentionné que le 18 mai 1790, l’Arbresle compte environ 1.000 habitants, chiffre inférieur â la réalité.
M. Lacroix, rédacteur de ce procès-verbal, déclare que deux assemblées devront être instituées. II ajoute que le procureur du roi, du département de Rhône et Loire, était alors M. Clerjon du Carry et le maire de l’Arbresle M. Raynaud.
Dans un second mémoire, concernant les Officiers municipaux de l’Arbresle, il est dit que, le I7 mai 1790, le premier jour où l’assemblée s’est réunie en l’église de la Madeleine à I’Arbresle, les officiers municipaux ont été » bafoués » (sic) par les sieurs Sage et Ribollet, citoyens actifs des paroisses de Sarcey et de Savigny. Les officiers durent inviter un détachement de 15 hommes de la garde nationale de l’Arbresle à les accompagner à la réunion.
Ce mémoire est signé par Lacroix, Raynaud maire, Collet, Mignard, Béatrix Favrot, et Mathelin. Il y est signalé que le capitaine de gendarmerie de l’Arbresle est Jean François Augustin Dalbepierre.
Les conséquences d’une fuite
Le 23 juin 1791, on apprit que Louis XVI avait secrètement quitté la capitale dans la nuit du 20 au 21 juin. Cette tentative d’évasion, mal conduite, échoua misérablement. La famille royale fut arrêtée à Varennes et ramenée de force à Paris.
Les populations des campagnes lyonnaises entrèrent en effervescence. On leur dit que la fuite du roi avait été concertée avec les nobles demeurés dans leur terre. Les gardes nationaux de plusieurs communes, même ceux de l’Arbresle, excités par des meneurs, se portèrent chez le marquis d’Albon, à St Romain de Popey, saisirent des armes et en se retirant emmenèrent le fils du marquis.
II y eut violation de domicile dans d’autres châteaux, notamment à Morancé, à la Chassagne, à St-Laurent-de-Chamousset, à Tarare. À Eveux, (la Tourette), le château fut pareillement envahi et les archives jetées au feu. En brûlant, un peu partout, de nombreux terriers (registres indiquant les biens des seigneurs et des redevances), La France fut ainsi privée d’une de ses plus précieuses richesses historiques. Ils s’acharnaient sur ces titres, dans la crainte de voir un jour leurs propriétaires réclamer leurs droits. Ou bien ils les semèrent, ici et là, dans un désordre invraisemblable.
Quelques exaltés pénétrèrent, pendant la tourmente, dans la sacristie de notre église St Jean et s’emparèrent des registres paroissiaux. Incapables de les lire, ils arrachèrent la moitié des feuillets de l’un de ces registres. Quelques jours plus tard, on s’aperçut qu’un épicier se servait, pour plier sa marchandise, des feuillets arrachés. Un arbreslois les recueillit et, la révolution finie, on remit en place ce qui en restait. Ajoutons que les écussons qui ornaient les six grandes portes de l’Arbresle et ceux placés au dessus des façades des maisons nobles furent mutilés.
Plusieurs madones qui protégeaient nos rues furent descendues de leurs niches. Nous avons déjà parlé de la croix du pont Sapéon, qui fut brisée, et dont les morceaux ont été retrouvés peu après dans la Tardine (ancien nom de la Turdine).
Ne quittons pas l’Arbresle. Après le départ forcé de M. le curé Soulier, l’église St-Jean ayant été fermée au culte comme la chapelle Sainte-Madeleine, où se rendaient les catholiques pour recevoir les sacrements ?
La maison de la « Bonne Presse », rue du Marché, qui appartenait alors à Benoît Peyreton boulanger, fut leur lieu de refuge. C’est là que, pendant quatre ans, au premier étage, on disait la messe, on baptisait, on mariait. Le secret était bien gardé par les initiés. On venait chercher le pain ; on montait au premier étage où un prêtre non assermenté confessait et célébrait. On entendait la messe, puis on sortait pour aboutir à une impasse qui donne sur la rue St Jean près de l’église.
Vers la Terreur
La marche vers le désordre et l’horreur va se poursuivre. Le 25 avril 1792, première exécution par la guillotine : le brigadier de gendarmerie de l’Arbresle, Dupin, exécuté à Lyon.
Le 11 juillet 1792 on proclame « la Patrie en danger ». Le 10 août 1792, c’est la suspension du roi, et le 17 août 1792, l’institution d’un tribunal révolutionnaire.
2 septembre 1792, premier jour des « massacres de septembre ».
Les guerres de la révolution commencent avec, le 20 septembre 1792, la bataille de Valmy.
Un pas important est franchi le 21 septembre 1792 avec l’abolition de la royauté, et le lendemain la proclamation de l’An I de la République, proclamée le 25, « une et indivisible ». Le 3 décembre 1792, c’est l’ouverture du procès de Louis XVI.
Dés le début de 1793, les structures de la Terreur se mettent en place avec, en mars la création du Tribunal révolutionnaire, puis le 6 avril, la création du Comité de salut public.
Ce comité remplace le Comité de défense générale qui contrôle les comités de surveillance
Tout ne se passa pas aussi bien que le souhaitaient les nouveaux maîtres. Ainsi, un mémoire justificatif de Gaspard Dominique Raymond fils, de l’Arbresle, où celui-ci proteste contre l’accusation d’incivisme, portée contre lui par le Comité de surveillance de Lyon, c’est-à-dire par son délégué à l’Arbresle nommé Louis Dumanoir, qui va bientôt entrer en scène.
A Lyon les exécutions se multiplient. Puis ce fut le tour des communes voisines de Lyon, qui eurent à souffrir de la trahison et de beaucoup d’autres maux.
Des membres de la « Commission de surveillance » établie à Lyon, parcoururent les campagnes. Ces commissaires voyageaient à cheval, escortés de dragons. Ils portaient un habit bleu à collet rouge, avec gilet rouge, culotte de peau, bottes à l’américaine, chapeau tricorne à plume large ruban tricolore en sautoir, long sabre à la hussarde, pistolets demi-arçon. C’est ainsi que nous les représentent les gravures du temps.
Chemin faisant, ils faisaient arrêter les ci-devant, les prêtres, les laïcs suspects. On les conduisait à Lyon où ils étaient livrés au tribunal révolutionnaire.
Parmi les délateurs, on disait alors les « dénonciateurs », on trouve, dans un vieux bouquin réimprimé en 1895 à Lausanne en Suisse, le nom des délateurs de l’Arbresle. Ce furent : Dalbepierre, alors brigadier de gendarmerie dans notre petite ville, un autre gendarme de la brigade nommé Dupuis, enfin « l’Américain », c’est à dire le fameux Dumanoir, un étranger, qui « portait des bottes à l’Américaine » d’où son surnom, et que nous allons bientôt trouver installé à l’Arbresle, au nom du Comité de Surveillance de Lyon, présidant toutes les réunions, prononçant chaque jour des discours enflammés et commandant en maître dans notre commune.
Le sauvetage des vitraux
Une anecdote non sanglante et même amusante nous est restée sous la forme d’un texte rédigée pour le chanoine Picard par Madame Rigaud Gonin, une habitante de l’Arbresle
« En 1793, année douloureuse entre toutes, (c’est Madame Rigaud qui parle), l’église de l’Arbresle avait été convertie en club révolutionnaire. Dumanoir y émettait les idées les plus violentes. Un jour, en montrant les vitraux de l’église, il s’écria :
« Qu’avons nous besoin de ces vilaines figures de ci-devant saints ? Nous ne voulons plus les voir. Que nos enfants prennent des pierres et nous en débarrassent en les brisant ».
Mon bisaïeul, qui savait la valeur de ces vitraux mais qui savait aussi que le sentiment artistique avait peu de prise sur cet exalté, jugea prudent de se montrer de son avis : « Citoyen Dumanoir, lui dit il, tu as raison ; nous pensons comme toi. Des saints ? II n’en faut plus. Mais as-tu réfléchi que l’hiver nous aurons bien froid pendant nos séances, si les vitres sont brisées ? Les fenêtres sont grandes. Des vitres blanches coûteraient cher et la commune n’est pas riche. Je propose que l’on badigeonne ces figures que nous ne voulons plus regarder. Quand nous aurons de l’argent, nous les ferons remplacer ». L’avis fut trouvé bon et les vitraux furent sauvés.
Ce petit fait a été raconté bien des fois par ma bisaïeule qui était présente au club, car le citoyen Dumanoir voulait que les femmes allassent aussi aux réunions. « Pourquoi, dit-il un jour, la citoyenne Gonin ne vient-elle pas à nos séances ? Elle a de jeunes enfants à soigner dit le mari. Qu’elle les amène ! Ils apprendront, dès leur bas âge, les immortels principes ». Elle ne vint pas longtemps. Son plus jeune enfant, qui, disait-elle, souffrait des dents, poussait des cris qui couvraient la voix de l’orateur. Elle fut donc autorisée à rester chez elle. Plus tard, elle avouait à ses petits-enfants que le bébé n’avait pas mal aux dents, mais qu’elle le pinçait très fort pour le faire crier. «
La révolte contre la Convention
Les décisions prises, notamment en matière de décentralisation provoquèrent à Lyon des heurts entre les Jacobins, révolutionnaires exaltés, partisans de la Convention (Joseph Chalier) et des Girondins plus modérés et opposants menés par Roland de la Platière, (né à Thizy) . L’arrestation de Chalier par les « Rolandins » le 29 mai 1793, provoqua l’intervention des troupes de Kellermann.
Les Rolandins, pour la plupart sincèrement républicains et démocrates se laissèrent déborder dans leurs propres rangs et c’est Précy, royaliste qui prit la direction des opposants à Kellermann.
Une lutte violente fut engagée entre les soldats de Précy, (on les appelait les muscadins) et les troupes de la Convention, que le représentant Couthon renforçait bientôt avec 25.000 réservistes levés en Auvergne.
Depuis le 25 août 1793 jusqu’au 19 septembre, les escarmouches se succédèrent, jusqu’à l’investissement complet de Lyon. Précy, avec 700 hommes, tenta une sortie du côté de Vaise et réussit.
Que se passa-t-il ensuite pour la petite armée de Précy ? Plusieurs hypothèses s’affrontent. Selon Jacques Branciard, ils furent attaqués par les habitants de Theizé en Beaujolais, qui les dépouillèrent et les assassinèrent.
La version du chanoine Picard est la suivante : « Deux cents de ses soldats parvinrent â s’échapper avec leur chef. Ils passèrent une de leurs dernières nuits dans la cour de la maison de Valous à l’Arbresle. De l’Arbresle, les soldats de Précy, tentèrent de gagner les bois de St-Romain. Poursuivis par les troupes d’Auvergne, ils durent s’arrêter près du château d’Avauges, et engager une dernière bataille où périrent 50 d’entre eux.
Quelques habitants de St-Romain, informés que les soldats de Précy appartenaient à des familles fortunées et emportaient sans doute sur eux une partie de leur fortune, se jetèrent sur les cadavres et les dépouillèrent. Plusieurs familles de St-Romain s’enrichirent et avec ce honteux butin achetèrent plus tard des domaines.
Quant à Précy, il parvint à s’évader avec quelques-uns de ses camarades. Ils se réfugièrent à Affoux, puis à Violay. Précy mourut 15 ans plus tard dans l’Allier.
La réalité est peut-être en plusieurs endroits, les hommes de Précy ont probablement dû se disperser en plusieurs groupes qui suivirent des chemins différents ; un point commun cependant, les habitants des villages concernés ont largement profité de la déroute des « muscadins ».
Lyon paya fort cher sa rébellion par de grandes démolitions et plus de 2000 exécutions. Le département de Rhône-et-Loire fut scindé en deux.
Revenons au témoignage de Madame Rigaud Gonin : « Dans les campagnes, de nombreux habitants prirent fait et cause pour Lyon. L’Arbresle voulut participer â la défense de la grande ville. Nos gardes nationaux, sous la conduite du commandant Raymond et du capitaine Gonin, se réunirent à d’autres gardes nationales dans les bois de Mercruy et de La Tour de Salvagny. Mon père racontait volontiers que les Lyonnais, les prenant pour les soldats de la Convention, tirèrent sur eux, ce qui refroidit leur zèle et les fit reculer.
Quoi qu’il en soit, les suites pour quelques-uns furent graves. Une nuit, vers deux heures, mon bisaïeul et sa femme furent éveillés par un coup vigoureux frappé â leur porte. Ma bisaïeule ouvrit la fenêtre : Qui est là ? Chut ! chut ! pas un mot, ne prononcez pas un nom, ouvrez moi, il y va de la vie. Toute tremblante, elle descendit, ouvrit et, la porte soigneusement refermée, reconnut un ami de son mari nommé Loupiat qui faisait partie à Lyon du comité de Salut Public. Que votre mari parte au plus vite, dit Loupiat. Dumanoir l’a dénoncé comme ayant conduit sa compagnie au secours de Précy. La maréchaussée est en route pour l’arrêter. Au petit jour elle sera là.
Et, sans accepter de se restaurer ni même de se reposer, il ajouta : Pour moi, je repars à l’instant. J’ai pu sortir de Lyon, grâce au sergent qui est de garde à la porte de Vaise. A huit heures on relève le poste ; il faut que je sois rentré avant, et il disparut dans la nuit.
Mon bisaïeul fit à la hâte provision de quelques vêtements et dit adieu â sa femme. Où vas tu, dit-elle ? Je pense trouver un abri chez un ami. Mais où ? Il vaut mieux que tu l’ignores. On te questionnera de toutes manières, et sans t’en douter, tu laisseras deviner ce que tu veux cacher. Le jour naissait à peine que des coups furent frappés à la porte et que retentit la terrible phrase : Ouvrez au nom de la Loi ! On fouilla la maison, on ne trouva rien de suspect.
Ma bisaïeule tremblait : Tu parais bien inquiète, tu sais donc quelque chose ? Oui, je suis inquiète. Mon mari n’est pas rentré hier soir, je l’ai attendu toute la nuit. On n’en put tirer rien d’autre. Quant à mon bisaïeul, il alla demander asile à un ami, dans la vallée de la Brévenne.
Celui ci le cacha dans son cuvier, derrière des tonneaux où il venait la nuit lui apporter de la nourriture. Il en fut ainsi pendant plusieurs mois. Au bout de ce temps, l’ami lui dit : Gonin, il faut que tu partes. Je sens autour de moi des soupçons, des animosités. On m’épie. Si on te trouvait ici, nous serions perdus tous deux.
Mon bisaïeul s’enfonça dans la montagne. Je présume que ce fut dans la direction de Brullioles, dont sa famille était originaire.
La tempête révolutionnaire s’étant un peu apaisée, il rentra chez lui où il ne fut plus inquiété. Il nous a laissé de ces jours troubles son bonnet de police et son épée de capitaine. Sur la lame, on peut lire : « Vive la nation, la Loy et le Roy ».
Des séquelles de la révolution
Une loi nouvelle troublait les habitudes des arbreslois et des habitants des paroisses voisines. C’était la fixation des jours de marché au « tridi » et à « l’octidi » de la décade.
On persistait à se réunir aux jours d’autrefois. L’administration centrale fut obligée d’envoyer à l’Arbresle et à Tarare un commissaire, le citoyen Grandchamp, qui constata les mesures prises par les municipalités pour l’exécution de l’arrêté et les réquisitions adressées à la force armée pour empêcher l’étalage des marchandises sur la voie publique aux autres jours qu’à ceux indiqués.
Il y eut aussi un nouveau drame de guerre civile qui se déroula dans le voisinage de l’Arbresle, le 11 février 1797. Un combat fut engagé entre des jeunes gens et des soldats, combat qui provoqua le plus vif émoi dans la contrée. Sur la route de Tarare, un détachement de volontaires et de cavaliers conduisait à Rochefort quatre prêtres condamnés à la déportation : MM. Malgontier, Vial, Mazenod et Dulac. Ce détachement s’arrêta à l’étape de Tarare, assez de temps pour qu’un mot d’ordre se transmette dans les paroisses voisines, en vue de délivrer les prisonniers.
En effet, le convoi rencontra tout à coup, au sommet de la montagne, dans l’endroit appelé la Chapelle (col du Pin Bouchain) quatre cents jeunes hommes munis de fusils. Ils étaient embusqués derrière les maisons du hameau et ils crièrent au détachement de mettre bas les armes.
Portalier, lieutenant de grenadiers, commandant l’escorte, ordonna à ses hommes de faire feu, et aux gendarmes et à la cavalerie de charger, ce qui fut fait. Les paysans ripostèrent et ne tardèrent pas à mettre le détachement en déroute. Toutefois ils ne parvinrent pas à délivrer les prêtres. Trois d’entre eux furent emmenés par les soldats. M. Jean Marie Dulac, natif de Crémeaux, fut tué dans la mêlée.
Chez nous comme ailleurs dans le pays, c’est l’avènement de Bonaparte, devenu Premier Consul, qui ramena l’ordre et la paix.
Bernard Isnard
Bibliog. :
– L’histoire de l’Arbresle et de l’Abbaye de Savigny – L. Picard
– Histoire de la région Lyonnaise – René Lacour
– 2000 ans d’histoire – Editions Havas
– Les Muscadins de Théizé, de Jacques Branciard – Histoire et mémoire