Les guerres, conflits et invasions

Les Mobiles à la guerre en 1870

Résumé

Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder cette période douloureuse de la guerre de 1870, dans nos numéros 11 et 12, en particulier avec le témoignage de Thomas Forest, de Fleurieux-sur-l’Arbresle. Dans le numéro 12, le chanoine Picard nous racontait ses propres souvenirs de cette période, à l’Arbresle.

Dans cet article, écrit en août 1958, une journaliste de l’Arbresle, Claudia Fougère, nous évoque la société des Anciens Mobiles qui, jusqu’à la disparition des derniers survivants, maintint une amitié, une cohésion sans faille dans un devoir de mémoire, sans faille. Une belle page de notre histoire régionale

Depuis le début du siècle, les événements se sont succédés à une telle cadence, et la société a subi de si profondes modifications, qu’il est fort compréhensible que certains faits, d’un passé pourtant assez récent, et qui marquèrent profondément toute une époque, bien voisine de la nôtre, n’aient plus maintenant, sur l’âme des générations actuelles, qu’une résonance très atténuée. Ainsi en est-il tout particulièrement de la guerre de 1870, dont un intervalle de quatre-vingt-huit ans nous sépare déjà.

Un peu reléguée dans l’ombre par les deux grands conflits mondiaux qui l’ont suivie, nous avons quelque peine, de nos jours, à comprendre l’épreuve cruelle qu’elle représenta pour toute la nation et combien son issue malheureuse et la perte des deux provinces qui en résulta fut douloureusement ressentie par tous. Ce fut vraiment comme une plaie ouverte au cœur de la patrie, dont nul de ses enfants ne pouvait se consoler. Et peut-être faut-il avoir vécu dans l’ambiance de cette période qui suivit « l’Année Terrible » pour pouvoir réaliser ce que ces deux noms d’Alsace et de Lorraine pouvaient alors susciter de ferveur et de regrets jusque dans les couches les plus humbles de la population.

Pendant les six mois de cette malheureuse campagne, poursuivie tout au long d’un hiver d’une rigueur exceptionnelle, notre canton avait perdu 79 de ses enfants, dont les noms figurent encore sur des plaques de marbre apposées sur les murs de la mairie de L’Arbresle, le 23 avril 1899, au cours d’une mémorable cérémonie.

La société des Anciens Mobiles

Mais à cette date, il existait déjà depuis longtemps une société qui jouissait d’une grande notoriété dans nos communes, et en qui semblaient s’incarner d’une façon toute spéciale les souvenirs de 70. C’était celle des Anciens Mobiles dont les membres ayant participé à la défense de Belfort pouvaient s’enorgueillir d’avoir contribué à conserver cette place forte à la France.

Le nom de cette formation militaire tombée en désuétude est aujourd’hui bien oublié et peut-être serait-il bon de préciser quelle était l’origine de ces Mobiles dont notre canton avait fourni un assez fort contingent. Elle était consécutive au mode de recrutement en vigueur à cette époque où la durée du service militaire était de sept ans. S’en trouvèrent dispensés, les jeunes gens ayant eu la chance de tirer un bon numéro ou la possibilité, dans le cas contraire, de s’acheter un remplaçant; de même, en cas de guerre, les hommes mariés ne partaient pas, exception qui n’était d’ailleurs pas nouvelle et remontait loin puisqu’au temps du 1er Empire on pouvait citer le cas typique d’un jeune arbreslois de 18 ans, d’humeur sans doute peu aventureuse, qui alla dans un canton voisin contracter mariage « sur le papier » avec une personne de 70 ans pour n’avoir pas à participer à l’épopée napoléonienne.

La Garde Mobile dont le nom était apparu sous différents régimes politiques, avait toujours été, en quelque sorte, une force de suppléance. Issue de la Garde Nationale, sous la Révolution et l’Empire, elle est mobilisée pour la défense du territoire. Plus tard, en 1848, après la chute de Louis-Philippe, elle devient un corps de troupes, recrutées parmi les ouvriers de Paris, pour le maintien de l’ordre à l’intérieur.

Son titre sera repris en 1868 et figurera dans le système d’organisation militaire dû au maréchal Niel. Composée de tous les jeunes gens valides n’appartenant pas à l’armée active, elle est destinée à constituer une réserve dont l’instruction, en cas de guerre, pourra se faire à l’abri du réseau formé par cette dernière. Mais en 1870, la rapidité de la défaite ne permit pas l’exécution complète du plan et la garde mobile était bien incomplètement organisée lorsqu’il lui fallut prendre part à la lutte.

Les mobiles du canton de L’Arbresle qui appartenaient aux classes s’échelonnant de 1844 à 1850 firent partie de la 1ere Compagnie du 1er Bataillon des Mobiles du Rhône (65e Régiment de Marche) formé au camp de Sathonay le 13 août 1870. Commandés par le capitaine Georges de Leullion de Thorigny, de la commune de Bessenay, ils participèrent à la défense de Belfort, du 3 novembre 1870 au 16 février 1871. Revenus à Lyon, ils furent licenciés le 23 mars 1871.

Quelques années plus tard, au cours d’une réunion tenue à Bully le 28 décembre 1884, ils décidèrent de se grouper et nommèrent une Commission préparatoire à cet effet; celle-ci se mit immédiatement à l’œuvre et c’est ainsi que la « Société Amicale des Anciens Mobiles du canton de L’Arbresle », car telle fut la dénomination officielle, put recevoir l’approbation préfectorale à la date du 4 juillet 1885. Elle se donnait pour but «de conserver parmi ses membres les sentiments d’affection et d’estime réciproques nés pendant la défense de Belfort et de raviver le souvenir du temps où ils avaient partagé l’honneur de faire leur devoir pour la Patrie». Noble idéal auquel les Mobiles seront toujours fidèles.

D’après les statuts, pour faire partie de la société, il fallait d’abord prouver que l’on avait bien fait partie de la 1ere Compagnie. Le siège social était fixé à L’Arbresle.

Le 2 février 1890 ils sont à St-Pierre-la-Palud et la fanfare du lieu ainsi que la chorale des Mines prennent part à la fête. Puis, dans la journée, un photographe de Lyon vient prendre en groupe la Société qui compte alors 143 membres, toute demande d’admission continuant d’être soumise à un rigoureux contrôle concernant l’appartenance de l’intéressé à, la 1ere Compagnie.

Au cours de l’assemblée il est décidé que la fête annuelle aura lieu désormais le 1er dimanche de mars, date qui sera encore reculée par la suite. Et c’est ainsi qu’en accord avec cette décision, les Mobiles, accompagnés de la fanfare de Bully, se rendent à Sarcey le 1er mars 1891.

La cotisation annuelle demandée à chaque sociétaire en vue de la constitution d’une Caisse Sociale, serait de deux francs.

Une assemblée générale aurait lieu chaque année le premier dimanche de février et se tiendrait successivement dans toutes les communes du canton où se trouveraient des Mobiles, à commencer par L’Arbresle. Elle serait précédée d’un Office religieux à la mémoire des membres  défunts et suivie d’un banquet amical dont le coût était d’avance fixé à trois francs.

Chaque sociétaire recevrait un livret portant en tête les armoiries en couleurs de  L’Arbresle et de Belfort surmontées d’une seule couronne murale et ornées de cette devise « Unis pour la Patrie »,

Enfin, il était fait à tous les membres  un  devoir  d’honneur d’assister aux funérailles de leurs Camarades qui viendraient à décéder. Puis suivaient de sages mesures pour assurer la bonne marche de la société.

La première réunion

C’est donc en conformité avec ces dispositions que nous voyons les Mobiles se réunir pour la première fois à L’Arbresle le 7 février 1886, au nombre de 116.

Après avoir reçu l’insigne de leur Société, ils assistent à un service funèbre puis tiennent une Assemblée générale au cours de laquelle ils élisent leur bureau à bulletins secrets pour une durée statuaire de cinq ans. Celui-ci sera composé de MM. de Leullion de Thorigny (Bessenay) président – Bourgeois (Sain-Bel) vice-président – Cozona Claude (L’Arbresle) secrétaire général – Cozona Jean (Lentilly) secrétaire adjoint et Bost (Fleurieux) trésorier. Ensuite, accompagnés de la Fanfare, les Mobiles parcourent la ville avant de se rendre au banquet servi à l’ancien hôtel Veuve Desigaud par les soins d’un sociétaire de L’Arbresle, Jean Benoit Chapet qui, plusieurs fois par la suite, assura le même service dans les communes qui ne pourront le  faire  elles-mêmes. Puis, avant la séparation. le membre le plus jeune de l’Assemblée, et ce sera longtemps Pierre Sarcey, tire au sort le nom de la commune où se tiendra la réunion de I’année suivante.

La tradition était fondée. Elle va se perpétuer sans interruption pendant près de trente ans. Un grand registre exactement tenu va nous faire connaître la vie de la société au cours de cette longue période. En plus des nombreux comptes-rendus relatant ses diverses activités (réunions de bureau, assemblées ordinaires et extraordinaires, etc…), nous y trouvons les procès-verbaux dressés au décès de chaque sociétaire et qui ne manquent pas de mentionner, avec l’achat d’une couronne le nombre de ceux qui ont accompagné le « regretté camarade ». Et si, prévenue trop tard ou pour une cause quelconque, la Société n’a pu assister à ses funérailles, une délégation avec des membres du bureau ne manquera pas d’aller, quelques jours après, déposer une couronne sur sa tombe.

Une action sur un plan très élevé

Mais dans ces pages élégamment calligraphiées, nous chercherions en vain la trace d’une quelconque revendication car les  Mobiles n’ont jamais rien demandé et de ce fait leur action a pu toujours se maintenir, sans altération, sur ce plan très élevé de patriotisme et d’amitié où, dès le début, ils s’étaient efforcés de la fixer.

Nous ne pouvons aussi qu’admirer le sérieux et le dévouement que les membres du bureau apportent dans l’exercice de leurs fonctions, payant sans cesse de leur personne et souvent de leur bourse, avec le souci de toujours maintenir le bon renom de la société et d’assurer en toute occasion la dignité de sa tenue.

La préparation de l’assemblée annuelle en particulier était l’objet de toute leur sollicitude. D’avance, ils se rendaient dans la commune où elle devait avoir lieu pour en étudier sur place toutes les modalités et prendre contact avec les autorités du pays puis, la fête passée, ils ne manquent pas d’envoyer des lettres de remerciements à qui de droit.

Un événement mémorable

Car la venue des Mobiles était un événement mémorable pour les communes qui les recevaient à grand renfort de fanfares, de drapeaux et de guirlandes et s’il n’existait pas de société musicale dans la localité, c’est une fanfare voisine qui prêtait son concours.

La seconde réunion eut lieu à Lentilly le 6 février 1887 et tous les sociétaires présents furent invités à signer le compte-rendu de l’assemblée générale, usage qui allait se perpétuer par la suite.

Et il n’est rien, maintenant, de plus émouvant que de parcourir ces longues listes de noms de chez nous, évoquant tant de figures familières aujourd’hui disparues.

Cette même année, les Dames du canton de L’Arbresle offrent par souscription à la Société un superbe drapeau brodé qu’elle portera pour la première fois le 30 novembre suivant, à Lyon, à l’inauguration du monument élevé à la mémoire  des  Combattants du Rhône, où elle se rendra accompagnée des fanfares de L’Arbresle et de Lentilly. Et désormais le cérémonial de sa fête annuelle débutera par un « Salut au Drapeau ».

La troisième assemblée se tient à Bibost le 5 février 1888 et la lettre de convocation des sociétaires ne manque pas de leur indiquer, avec heures des trains partant de Lyon-Saint-Paul, la gare la plus proche qui est celle de Sain-Bel, et le temps nécessaire pour taire le trajet à pied.

La quatrième réunion a lieu à Saint-Germain, le 3 février 1889, et c’est le

maire, entouré des jeunes gens du pays, à cheval, qui vient à la limite de la commune accueillir les Mobiles arrivant en cortège, précédés de la Fanfare de L’Arbresle.

Au cours de l’assemblée, il est décidé que la fête annuelle aura lieu désormais le 1er dimanche de mars, date qui sera reculée par la suite; et c’est ainsi qu’en accord avec cette décision, les Mobiles, accompagnés de la fanfare de Bully, se rendent à Sarcey le 1er mars 1891.

Un voyage à Belfort

Belfort – Un des monuments élevé à la mémoire des combattants

Cette même année, la Société organise un voyage collectif à Belfort, la plupart de ses membres désirant revoir les lieux où ils ont combattu. Le départ a lieu le 16 mai. Les Mobiles, avec drapeaux et clairons, circulent en cortège dans Belfort, assistent à une messe pour leurs défunts, salués au cours de l’Office par le curé, doyen de la ville, et se rendent au cimetière du Vallon où ils se recueillent devant le monument élevé à la mémoire des défenseurs du siège. Ensuite, sous la conduite d’un officier d’Etat-Major, ils visitent les forts du Château et de Denfert (ancien Bellevue), principaux théâtres de la lutte soutenue il y a vingt ans. Ils sont de retour le 18 mai.

La 7e assemblée générale a lieu à Fleurieux, suivant le cérémonial habituel, avec la participation de la fanfare de Lentilly.

Quelques jours après, au cours d’une réunion tenue au siège social à L’Arbresle, il est décidé d’organiser, sous la direction

d’un Mobile, M, Tony Chanel de Saint-Germain, un corps de douze élèves clairons qui devront être choisis parmi les fils de sociétaires et agréés par le bureau.

Le 27 novembre suivant, dans une autre réunion au siège, lecture est donnée aux membres du bureau d’une lettre proposant à la Société l’achat d’une œuvre d’art dénommée « Groupe de la Défense ». Mais le bureau est d’avis que ce groupe qui représente trois personnages dont un Mobile mourant et désarmé, exprime le contraire de la vérité historique puisque les deux Régiments de Mobiles du Rhône n’ont jamais été réduits à merci ni désarmés du fait de la guerre.

– « Qu’ils ont quitté la place Belfort avec armes et bagages et seulement sur l’ordre du gouvernement de la Défense Nationale, prêts à reprendre la lutte si besoin en était ».

– « Qu’ils ont restitué à l’autorité militaire française ces armes qui leur avaient été confiées huit mois plus tôt ».

– « Et que ce fait exceptionnel à cette malheureuse époque et sans analogie dans le département du Rhône méritait d’être traduit autrement. »

En conséquence, à l’unanimité, dans une fière réponse, les membres du bureau estiment qu’ils doivent à leurs camarades morts, et se doivent à eux-mêmes, de repousser la proposition.

La 8e réunion annuelle a lieu à Sourcieux le 23 avril 1893 et les dispositions arrêtées pour cette journée  et soigneusement consignées sur le Grand Registre sont un modèle du genre. Tout est prévu et le Directeur du Protocole préparant la venue d’un chef  d’Etat ne saurait en régler les détails avec plus de minutie.

La fanfare de Sain-Bel accompagne les Mobiles. Invitée cette même année à prendre part à la réception des officiers de l’Escadre russe qui aura lieu à Lyon le 25 octobre, la Société décide de laisser chaque membre s’y rendre individuel-lement s’il le désire.

C’est le 15 avril 1894 que se tient à Savigny la 9e assemblée générale et à Bessenay et le 28 avril 1895 la 10e.

Pour assurer la pérennité de la Société

Mais les décès de sociétaires commencent à devenir fréquents aussi ; une assemblée générale extraordinaire est-elle convoquée quelques mois plus tard. Elle se tient le 20 octobre 1895 en la salle de la Justice de Paix à L’Arbresle et décide que, dans le but d’assurer la pérennité de la Société, désormais tout sociétaire pourra présenter pour en faire partie un fils ou, à défaut, un neveu portant son nom, ayant satisfait au service militaire actif, s’engageant à observer les statuts et à présenter lui-même plus tard un fils ou un neveu.

L’assemblée règle aussi la destinée du Drapeau. Au cas où la Société viendrait à disparaître, celui-ci devrait être déposé avec les archives à la mairie du chef-lieu de canton.

Ces dispositions prises, les Mobiles continuent le rythme de leurs  réunions générales annuelles. Pour la 11e, ils sont à Nuelles le 19 avril 1896, accompagnés par la fanfare de Saint-Germain. Pour la 12e à Dommartin, le 4 avril 1897 avec la fanfare de Lentilly. La 13e se tient à Sain-Bel le 14 avril 1898 et la 14e à La Tour-de-Salvagny le 16 avril 1899, encore avec la fanfare de Lentilly. Quelques jours après, la Société prend part officiellement à L’Arbresle à l’inauguration des plaques commémoratives apposées à la mémoire des soldats morts pendant la guerre de 1870-1871, cérémonie qui a lieu sous les auspices de l’Union Patriotique du Rhône.

Des titres de rentes avec une cotisation annuelle de deux francs

L’année suivante, les Mobiles sont à Bully le 29 avril 1900 pour leur 15e réunion annuelle et à St-Julien-sur-Bibost le 28 avril 1901 pour leur 16e. Désormais, toutes les communes du canton où se trouvent des Mobiles auront été visitées et, après consultation des sociétaires, il est décidé que les assemblées générales se continueront suivant l’ordre établi précédemment en recommençant par L’Arbresle.

Au cours de chacune d’elles, il ne manque pas d’être fait état de la situation financière de la Société car, grâce a leur bonne gestion, avec leur cotisation annuelle de 2 francs qui bientôt sera réduite à 1 franc, les Mobiles sont devenus de modestes capitalistes et possèdent des titres de rente qui sont présentés à chaque assemblée.

Le renouvellement statutaire du bureau, où des vides se produisent, continue d’avoir lieu tous les cinq ans. En feront successivement partie : Garnier Fleury (L’Arbresle), Poncet Jean-Marie (L’Arbresle), Giraud Petrus (L’Arbresle), Chanel Jean-François (St-Germain), Rouillat François – Pierre (Fleurieux) .

Mais il est d’une remarquable stabilité. Et, lorsqu’en 1906, le vice-président M. Claude Cozona, voudra se démettre de ses fonctions, sa démission sera obstinément refusée par les autres membres du bureau et en assemblée générale, les sociétaires le rééliront à nouveau.

Quarante ans après

Le 15 août 1910 la société se rend à Lyon et participe à la fête organisée à l’occasion du 40e anniversaire de l’appel de la Mobile en 1870. Le maire de Belfort, M. Schneider est présent avec le drapeau qui a flotté sur l’Hôtel de Ville pendant le siège, loque glorieuse déchiquetée par des milliers d’obus. Des diplômes et des médailles commémoratives sont remis aux anciens défenseurs de la place forte.

Mais au cours de ces dernières années, les procès-verbaux du Grand Registre relatent des décès de plus en plus nombreux. Et le 20 mars 1912, c’est l’ancien capitaine de la 1ere Compagnie des Mobiles, M. Georges de Leuillon de Thorigny qui meurt à Bibost à l’âge de soixante-six ans. Elu président de la société à l’unanimité lors de sa fondation, la confiance et l’affection des Mobiles l’avaient maintenu à ce poste, sans interruption, pendant vingt-sept ans. Ses funérailles ont lieu à Bessenay. Un discours  émouvant est prononcé sur sa tombe au nom de la société par M. Cozona. En suite de sa mort, tout le bureau ayant démissionné, il est procédé à de nouvelles élections lors de l’assemblée générale qui, cette année-là, se tient à Nuelles. C’est le vice-président démissionnaire, M. Claude Cozona qui est nommé président. II déclare ne pas accepter le poste mais ses camarades refusant de procéder à une nouvelle élection, tout en reste là et hormis le titre, il continuera de s’occuper de la Société comme par le passé.

L’année suivante, en 1913, le 15 août, plusieurs sociétaires se rendent à Belfort pour l’inauguration du monument des Trois Sièges à laquelle la société avait participé par une subvention. Ils rapportent de !a cérémonie un souvenir ineffaçable.

La dernière réunion

Mais voici la 29e réunion qui sera aussi la dernière car nous sommes en 1914. Elle se tient à Sain-Bel le 17 mai et peu après, c’est la guerre.

Quelques mois plus tard, au début de 1915, sur la proposition d’un sociétaire qui est aussi maire de L’Arbresle, M. Louis Rivière, une assemblée extraordinaire est convoquée qui aura pour objet l’attribution à une œuvre militaire d’une somme prélevée sur la caisse sociale. Et c’est sur ce geste d’entre aide patriotique que se clôt, en beauté l’histoire des Mobiles.

Car cette assemblée tenue à L’Arbresle le 7 février 1915 et au cours de laquelle fut votée à l’unanimité la subvention proposée, est le dernier acte officiel de la Société qui semble n’avoir plus eu d’activité d’aucune sorte pendant tout le temps des hostilités.

Celles-ci étant terminées, les Mobiles  survivants qui atteignaient 70 ans étaient en bien petit nombre : 55 seulement, ainsi que le précise une annotation du 20 mars1920. En quelques lignes au crayon, ne portant pas de date, mais rédigées vraisemblablement quelques années plus tard, ils nous donnent cette indication: « il ne reste plus que quatre sociétaires. »

Il semblerait que ces derniers Mobiles aient été Rouillat François né en 1848 à Fleurieux-sur-L’ArbresIe, décédé en cette commune le 28 décembre 1930, à l’âge de 82 ans, Nayrand Jean-Baptiste, né en 1848 à Saint-Julien-sur Bibost, décédé en cette commune le 7 juillet 1933, à l’âge de 85 ans, Ferrière Barthélemy, né en 1848, à Saint-Julien-sur-Bibost, décédé à Tarare le 31 mai 1935 à l’âge de 87 ans, Giraud François, né en 1849 à Fleurieux-sur-L’Arbresle, décédé à Chevinay le 8 décembre 1940 à l’âge de 91 ans. Les Mobiles n’étaient plus mais par leur action noble et désintéressée, ils avaient écrit une belle page de l’histoire de notre canton et bien mérité de voir se perpétuer leur souvenir.

Au lendemain de la douloureuse défaite de 70, lorsque la France meurtrie cherchait silencieusement à se reprendre, la fierté du devoir accompli et l’estime mutuelle avaient seuls groupé ces hommes venus de tous les milieux: cultivateurs, artisans, professions libérales et même rentiers, métier aujourd’hui tombé en désuétude (!)

De même ils avaient été des mainteneurs. Cet amour fervent de la Patrie dont ils avaient gardé intacte la flamme, ils en avaient passé le flambeau à leurs fils, ces poilus de la Grande Guerre qui après avoir répondu avec tant d’élan à l’appel de la mobilisation allaient, au travers de la Marne, de Verdun et de la boue des tranchées, forcer la victoire et nous rendre les chères provinces perdues.

Les Mobiles, ainsi qu’ils l’auraient souhaité, n’avaient pu assurer la pérennité de leur Société. Mais dans le cas où ils viendraient à disparaître, ils avaient par avance exprimé le désir de voir leur drapeau et leurs archives déposés à la mairie du canton pour en assurer la conservation.

Ce vœu si respectable ne serait-il pas possible de le réaliser ? En partie seulement, hélas, car leur drapeau a disparu. Et seul reste comme dernier témoin de leurs activités le Grand Registre, si précis et si consciencieux, où il n’est question que d’honneur et de patriotisme. On ne le parcourt pas sans émotion, non plus que sans une certaine mélancolie car ces pages où l’on sent frémir et palpiter l’âme de toute une époque sont aussi comme l’écho affaibli et le dernier adieu d’un passé révolu.

Symbole de la résistance héroïque de Belfort à trois sièges, Auguste Bartholdi commence les travaux de construction du lion en 1875. Cet ouvrage, taillé pierre par pierre puis assemblé,sera terminé en janvier 1880